Quel plaisir de revoir ce film, qui contient en germe tout ce que j'aime chez Jarmusch, ce regard désabusé et amoureux sur l'Amérique , cette nonchalance de l'image qui pose ses longs travelling sans la moindre prétention "poétique" (à l'inverse d'un Wenders qui parfois s'égare), ce noir et blanc qui sert si bien le (très) vague propos du film. Il y a une errance chez Jarmusch, et un soin des acteurs que je trouve touchant et tellement reposant et humain. Stranger than Paradise, c'est l'anti-Marvel par excellence.


Bien sûr on surfe ici un vide impressionnant, une non-action qui dépeint à merveille le désœuvrement et une certaine misère de ses protagonistes, mais qui donne aussi un relief étonnant à chaque parole, chaque geste, aussi insignifiants soient-ils. John Lurie (musicien des Lounge Lizards et que l'on retrouvera encore chez Jarmusch) est très bon déjà dans sa moue butée et apathique, dans sa morgue condescendante d'"américain" , lui qui sort juste de sa Hongrie natale, comme la cousine qui vient soudain débarquer chez lui. On suit avec plaisir les petits plans et petits ratages de ce clown blanc mutique et grincheux en compagnie de son comparse inquiet et sympa, joué par un excellent Richard Edson. Willie et Eddie ne font pas grand chose mais leur épopée entre Cleveland et la Floride est une promenade magnifique.


La jeune cousine récemment arrivée au State est le liant de cette petite histoire, et son ton blasé et ironique colle si bien aux scènes d'ennui existentiel qui composent ce film. (La mélodie lancinante du "I put a spell on you" de Screaming Jay Hawkins, qu'elle trimbale avec elle, vous habillera de frais pour l'hiver ). Elle complète très bien le duo d'artistes en dérive formé par Edson et Lurie, leur opposant un pragmatisme cool et sans bavure.


"Stranger than paradise" n'est certes pas exactement un film d'action, clairement, mais son scénario minimaliste donne "à voir" et accommode de nombreux moments magiques et drôles qui s’enchaînent sans temps morts dans une lenteur calculée au millimètre. Le final de ce film est un des meilleurs qui soient, je trouve.
Si vous ne connaissez pas encore cette petite perle, foncez, guys et guysettes, c'est du tout bon.

nostromo
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Top 10 Films

Créée

le 28 févr. 2018

Critique lue 729 fois

3 j'aime

nostromo

Écrit par

Critique lue 729 fois

3

D'autres avis sur Stranger Than Paradise

Stranger Than Paradise
Amal
8

Critique de Stranger Than Paradise par Amal

J'adore Jarmusch. Je n'y peux rien. J'ai une sensibilité poussée en ce qui concerne son cinéma minimaliste et son silence. Là, c'est noir et blanc, il y a John Lurie, Screamin' Jay Hawkins et des...

Par

le 4 juil. 2010

25 j'aime

Stranger Than Paradise
oswaldwittower
8

La mort du rêve américain.

Une succession de plans séquences fixes, articulés en trois chapitres, filmés dans un noir et blanc profond et contrasté. Dans une Amérique miteuse et morose, trois personnages qui s'ennuient se...

le 16 août 2013

19 j'aime

Stranger Than Paradise
olcolo
6

Soigner l'ennui par l'ennui.

Le noir et blanc, des plans fixes, jamais bavard, de belles images et des acteurs sobres. Au début je me suis ennuyé comme les personnages du film s'ennuient. C'est un film sur l'incommunicabilité ,...

le 25 juin 2011

17 j'aime

Du même critique

The Leftovers
nostromo
4

La Nausée...

Saison 1 seulement ! (Et pour cause!) The Leftovers n'est pas vraiment une série sur la "rapture" chrétienne, ni sur les extra-terrestres ou tout autre concept fumeux... Il y est plutôt question de...

le 29 sept. 2014

37 j'aime

11

Le Tombeau des lucioles
nostromo
10

La guerre, oui, mais d'abord l'enfance...

Quand j'ai vu "Johnny got his gun", je savais très bien à quoi m'attendre. Et ça ne m'a guère aidé... Pour "Le Tombeau des lucioles", je n'avais aucune idée de ce que j'allais voir, et je vois bien...

le 17 avr. 2013

35 j'aime

4