De la portée Twilight, si Sublimes Créatures vient immédiatement en tête, fortement aidé par une promo intensive et fortement dépendante de son aïeul, c'est bien la désespérée saga Fifty Shades of Grey, bâtard inattendu, qui en constitue le pendant le plus significatif. Anastasia Steele, formidable lectrice d'un seul et unique pavé (Tess d'Uberville, de Thomas Hardy, pour ceux qui ne se seraient pas risqués à la purge d'E.L James), gorgée de littérature féministe et pourtant désespérément soumise à un sosie de Ian Somerhalder corrompu par le diable du SM: pourquoi, mais pourquoi se remettre cette triste engeance en tête? Simplement pour dresser un constat: Sublimes Créatures n'est rien de tout ça.
Dans la catégorie des "sagas-bluettes-pouvoirs magiques", Sublimes Créatures fait même un étrange détour. Exit donc le long éveil (quatre films quand même) à la sexualité d'une émo décérébrée, se roulant à terme goulûment dans son rôle de mère et dans sa cabane de forêt à balayer entre deux séances d'emboîtage bestial avec son immaculé de mari, le dernier film de Richard LaGravanese (scénariste du très respectable Sur la route de Madison mais aussi auteur de l'inénarrable PS. I love you) renoue avec son époque et laisse de côté les fanfreluches. L'histoire, monomythique, n'en sera pas moins une redite: Ethan, un jeune ado décontracté mais pourfendu d'une famille inexistante, tombe éperdument amoureux de Lena, une enchanteresse (sorcière, c'est mal, dit-elle) malmenée par une société sudiste ultra-religieuse et torturée par la destinée tragique des générations de femmes de sa famille.
Ce qui choque dès les premières minutes n'est pas tant la vocation presque anti-cinématographique du long-métrage, proprement hideux dans ses retranchements les plus esthétiques, mais plus cette exposition, presque éprouvante, dans laquelle les personnages ne s'introduisent que par l'absence d'aînés. Les parents du héros s'avèrent inexistants (mère décédée, père cloîtré et absent à l'image), ceux de son âme soeur sont morts dans un incendie, et son meilleur ami ne s'en porte pas mieux, avec un père dans la tombe et une mère dépossédée d'humanité par l'intermédiaire d'un amusant twist scénaristique. Ce complexe face à la filiation, qui donnerait sans doute beaucoup à divaguer à Frigide Barjot, sera contre toute attente le motif principal du long-métrage, en opposition à une bluette relativement atone. Et ainsi, lorsqu'un des personnages en vient à interroger un de ses parents, qui n'en est paradoxalement pas vraiment un, sur l'amour que celui-ci lui aurait porté, un simple soupir d'agacement s'échappe en guise de réponse. Et les pestes du lycées, celles qui croient, qui prient, n'ont-elles pas à coeur de répéter, infantilisées, "ma maman m'a dit" dès qu'elles ouvrent la bouche?
Le parricide est évidemment la porte de sortie de ce conflit, symbole ultime de schizophrénie, et plus encore, symbole gigogne d'un récit à plusieurs têtes, car ce qui se profile en toile de fond est une autre histoire de désamour filial. Dans son évocation de la Guerre de Sécession, Sublimes Créatures rejoint une obsession cinématographique déjà "so 2013", de l'évident Lincoln au vain mais frappant Spring Breakers, en passant, dans une certains mesure, par l'anachronique Django Unchained: l'obsession de la dichotomie américaine, celle qui frappe le Sud en l'opposant au Nord, et le souvenir vaporeux (au sens figuré comme au sens propre, ici, dans une salle de cinéma enfumée) d'une tentative d'émancipation échouée. L'obsession du passé, qui pousse ces sudistes à se regrouper pour reconstituer proprement leur défaite, ou un amant à recoller peu à peu les souvenirs d'une mémoire effacée, fait écho à celle de la filiation perdue, maudite, jusqu'à laisser entendre, faussement, que les jeunes générations devraient réparer les erreurs des anciennes. Sublimes Créatures se pose alors comme un geste d'émancipation violent, une déclaration d'indépendance vaste et insaisissable; en cela il n'a rien avoir avec Twilight, puisqu'ici il ne sera pas question de se formater à l'image de l'autre, mais au contraire de s'en détacher par la force.
Evidemment, le constat serait bien trop beau si Sublimes Créatures avait réussi à porter ses intentions à l'écran, à les incarner visuellement. Fort de ses pistes littéraires, le film s'égare néanmoins dans sa romance un peu éteinte, bien que plus charnelle qu'à l'accoutumée, dans une partition musicale incohérente et chaotique, et surtout dans de nombreux développements ringards, parfois échappés d'un épisode perdu et jamais réclamé de Charmed (au secours, un livre de magie s'écrit tout seul); ce qui n'empêche pas sa richesse de s'exprimer maladroitement, mais de façon pléthorique, comblant par la même occasion ses faiblesse mythologiques. Sublimes Créatures est moche, Sublimes Créatures est faible; mais Sublimes Créatures n'est pas bête, et à une époque où le cinéma grand public nous vend comme acquis le récit de l'asservissement d'un sexe, ce n'est plus seulement un pas en avant, c'est presque une petite révolution.