Cinquième film de Zack Snyder, Sucker Punch n'est que la première réalisation avec laquelle il officie en tant que scénariste. On se souvient que 300, watchmen ou dawn of the dead relevaient de l'adaptation ou du remake, or ça n'est pas le cas ici où le cinéaste, ivre de liberté cinématographique, recherchait l'occasion de porter ses fantasmes narratifs sur grand écran. L’œuvre se révèle dès lors différente de ses anciens métrages tout en accumulant certaines similitudes, notamment au niveau du l'imagerie, qui porte la signature du réalisateur dans toutes ses composantes. Scénaristiquement, c'est par contre très divergent, Sucker Punch racontant l'histoire de Babydoll, jeune femme de 20 ans qui, après la mort de sa mère puis de sa sœur, se fait interner de force en asile psychiatrique par son beau père, désireux de toucher l'héritage promis aux deux sœurs. Face à ce déchaînement dramatique, Babydoll nie la réalité et se met à imaginer un monde fictif où ses désirs de liberté se matérialisent sous de nombreuses formes, sous de nombreux lieux.
Première opposition évidente, mais voulue par le metteur en scène : celle d'immerger ses personnages principaux, cinq jeunes filles innocentes, dans une adversité polluée par le vice. Le film prend du coup le parti d’inventer une société à travers les yeux de ses protagonistes féminins, ce qui, au vu de leur âge restreint, vire à la caricature féminisante. On comprend bien l'intention, Snyder n'est pas non plus un féministe acharné, il ne fait que retranscrire la chimérie de quelqu'un qui a une représentation biaisée du masculin, de par les drames qu'elle a vécues. Le monde rêvé devient pourtant caricatural : les hommes ne sont que d'infâmes salauds représentés, tour à tour, en mac violent (Oscar Isaac), en docteur amoral (John Hamm, scandaleusement absent), en boucher libidineux, en politique dépravé, en beau père meurtrier. Cette représentation du mâle, dont Babydoll attribue tous les maux, s'oppose à celle de la femme, inversement plus idéalisée. Même le rôle de Carla Gugino, un premier temps strict et indépendant, se révèle soumis au dictât de l'homme riche et puissant. Cette notion de possession est d'ailleurs omniprésente, l'asile, aliénation par nature, laisse place, dans un deuxième temps, à une nouvelle imagination où les femmes sont, de nouveau, sous détentions, ici en tant que prostituées. En bon discours féminisant, (on soupçonne la femme du réalisateur, productrice du film, de s'être mêlée à l'écriture) persuadé que l'égalité c'est la similitude, chacun joue le rôle de l'autre. Les femmes, rebelles, autonomes, usent des armes de l'homme et singent son comportement : elles utilisent la violence, font gicler le sang (qu'on ne voit pas, classification oblige), portent des armes. Au contraire des hommes, étonnamment féminisés : Oscar Isaac est maquillé au eye liner, il est efféminé, le beau père porte du fond de teint de façon exagérée.
Cette contradiction des sexes s'en double d'une autre : l'imaginaire féministe n'en porte que peu les symboles vestimentaires et physiques, où Snyder impose sa patte, guidé par ses fantasmes d'hétérosexuel. Les filles sont donc coiffées en soubrettes, habillées en écolières sexy, des tenues, volontairement affriolantes, destinées à exciter les envies du cinéaste. Visiblement ambitieux, libéré, il envoie ses belles héroïnes dans un univers qu'il connaît bien, dominé par le masculin : le jeux vidéo. Effets spéciaux aidant, il s'amuse dans ce milieu contradictoire où se côtoient de nombreuses références pop-cultures, où se combattent soldats nazis, robots futuristes, samouraïs géants. Ce capharnaüm pyrotechnique, photographié par Larry Fond, déjà présent sur 300 et Watchmen, débouche sur un maelström d'action sous fond de remix 80's filmé au ralenti qui amuse cinq minutes avant de vite nous décevoir. Ce «premier film d'action», comme considéré par Snyder himself, trahit son incapacité à mettre en scène une action cohérente sur la durée. Le récent Man of Steel, déjà brouillon sur le spectaculaire, indiquait des lacunes de mise en scène qui parvenaient à créer un rejet de la part du spectateur. Ça l'est tout autant ici où aucune émotion ne ressort d'enjeux biaisés par l'onirisme puis plombés par une narration de jeux vidéo qui n'a que rarement fait ses preuves au cinéma. De plus, les aspects les plus élémentaires de Sucker Punch, c'est à dire vidéo-ludisme, sensualisme, violence, se voient sacrifiés sous l'autel du sacro-saint mainstream. En effet, bien qu'interdit au moins de 13 ans aux USA (pays très puritain), puis déconseillé aux moins de 10 chez nous, la construction du récit s'est faite avec l'idée d'éviter une certaine classification. De quoi atténuer toute l'immoralité qu'on pouvait attendre d'une œuvre brassant autant de référenciations. On est loin des modes opératoires de ceux qui règnent sur les arts dont le film s'inspire.
Au final, l’œuvre n'est qu'une série de contradictions qui, intéressantes sur le papier, n'accouchent pas de grand chose à l'écran. On veut bien croire Snyder lorsqu'il nous explique que l'histoire est «un film d'évasion, au sens propre et figuré» sauf qu'en faisant tourner son récit autour de l’imaginaire manichéen d'une jeune fille, il est fatal que le scénario perde en subtilité. Le cinéaste tente bien de contre-balancer ce manque de complexité en disséminant, ici et là, de nombreuses symboliques : des extraits de l'Art de la guerre de Sun Tzu seraient cachés dans les décors, ainsi que des textes humoristiques en japonais, certains indices sur l'histoire se dissimuleraient sur les armes des héroïnes, pareil visuellement, où certaines similitudes reviendraient entre les mondes. Sûrement, mais le problème est ailleurs, à trop vouloir enrichir l'onirisme bête et méchant de ses basiques personnages principaux, l'ambition allégorique se noie dans le spectaculaire pompeux de son identité visuelle. Toute l'histoire du film