En deux lignes :
Vertigo met en scène John « Scottie » Ferguson, un ancien inspecteur de police sujet au vertige mandaté par un de ses amis pour suivre Madeleine, sa femme, qu’il croit hantée par son ancêtre Carlotta Valdès… mais plus l’enquête avance, plus le mystère s’épaissit, de même que la passion de Scottie pour Madeleine.
Et en un peu plus :
Claude Chabrol, réalisateur, cinéphile et affabulateur français, considérait qu’il existe trois catégories de films : les films impairs, les films pairs et les mauvais films. Les films impairs font la joie des producteurs, parce qu’ils séduisent le spectateur dès la première vision, avant de les décevoir la fois suivante. Cela assure au moins deux entrées de cinéma. Les films pairs, eux, paraissent anodins la première fois, mais se révèlent dans toute leur splendeur lorsqu’on les revoit. Cet effet est encore plus marqué lorsque le film est auréolé d’une réputation certaine : « Et quoi ? Tout ça pour ça ? Il n’y a vraiment pas de quoi en faire un plat, de ce film ! »
Vertigo est sans conteste un film pair. Ainsi a-t-il été boudé par le public et par les critiques lorsqu’il est sorti. Ce n’est qu’à force de relectures que ce méticuleux dédale de fausses pistes a acquis son statut de chef d’œuvre.
Avec Vertigo, Hitchcock n’a pas moins fait qu’explorer intégralement la notion de vertige. La caméra y est sans arrêt source, cause de ce malaise étrange qui pousse à craindre les hauteurs, à voir le sol en même temps venir vers soi et se dérober à ses yeux, à percevoir malgré soi le monde en spirales, volutes et autres structures concentriques dont il paraît impossible de se dégager à cause d’une force d’attraction irrésistible. Mais Hitchcock va bien au-delà d’une expérimentation purement physique, cinétique et chromatique du phénomène. Le vertige physique y est en effet une matrice au déploiement d’un véritable vertige ontologique que les spectateurs éprouvent à travers les yeux de Scottie, joué par un John Stewart au regard sans cesse halluciné, ébahi, égaré devant le mystère auquel il fait face : celui de l’identité réelle de Madeleine. Qui est-elle ? Est-elle quelqu’un d’autre ? Qui a-t-elle été ? Existe-t-elle vraiment ? Autant de questions que le film pose toujours visuellement ou presque, dans un magnifique et vertigineux jeu de regards et de formes entre un personnage et l’objet de son désir. Désir de vérité bien sûr, mais désir charnel, amoureux aussi, qui viendra progressivement complexifier l’enquête en lui imprimant un second mouvement, affectif et passionnel, court-circuitant la recherche objective de l’enquêteur, égaré désormais dans une véritable spirale faite de dynamiques contradictoires. Dès lors, nous sommes peut-être au cœur du vertige : si Madeleine n’est pas qui elle est, de qui Scottie est-il amoureux ?
Vertigo, c’est Hitchcock qui nous peint le tableau d’une idylle amoureuse, qui prétend nous narrer une histoire policière, qui laisse planer l’ombre d’un récit fantastique, qui élabore derrière le divan un diagnostic.
Vertigo, c’est Hitchcock qui nous ment, qui nous ment si bien qu’on ne sait plus quand il dit vrai.