Plus connu que les Doors et Elvis Presley. A l'époque en tout cas.
Sorti très (trop) discrètement à la fin du mois de décembre 2012 dans l’hexagone, Sugar Man sonne comme un cadeau de noël idéal pour les amateurs de musique et les cinéphiles avides de documentaires poignants. Réalisé par un suédois inconnu, Sugar Man est le fruit d'un intense travail d'un expert des films traitant de la musique. Initialement prévu pour être un documentaire de trente minutes, le parcours et les chansons de Sixto Rodriguez ont tellement frappé la sensibilité musicale du réalisateur qu'il a préféré en réaliser un long-métrage, bien qu'il fusse largué en cours par les producteurs et soutiens financiers.
Abandonné, Malik Bendjelloul ne renonce cependant pas à transmettre l'histoire de ce chanteur. Sixto Rodriguez ou le parcours émouvant et dramatique d'un chanteur qui, malgré le succès en Afrique du Sud, n'a jamais su percer en Amérique, terre des soi-disant dénicheurs de talents. Délaissé mais pas abattu, Sugar Man a demandé trois ans de travail à son réalisateur afin qu'il propose un documentaire riche, vertiginieux et construit comme une enquête. Aidé par un journaliste musical et le propriétaire d'un music store, la mise en scène tend à se rapprocher du point de vue de ses deux enquêteurs amateurs, qui avait la volonté et la conviction impitoyable de savoir ce qui était arriver à ce chanteur hors-norme, dont les "on-dit" évoquait un suicide sur scène.
L'enquête les emmène dans de nombreux pays, à la rencontre de ses producteurs, des hommes de la profession qui ont été de près ou de loin associés à lui. L'intrigue captive littéralement dès lors qu'il est question du succès immense du chanteur en Afrique du Sud et en Australie. Le journaliste évoque des pistes intéressantes pour retrouver la trace d'un homme, notamment celle "de suivre l'argent, car si vous suivez l'argent, vous arrivez à tout". Et cette initiative va amener ces détectives éphémères à trouver une histoire plus importante, où il est question d'un probable détournement d'argent. Le film laisse un arrière-goût d'inachevé puisque des réponses restent en suspens mais c'est pour mieux s'approprier la personnalité de ce chanteur, souvent comparé à Bob Dylan ou Jimi Hendrix. L’atmosphère du récit se transforme soudainement en polar social d'une férocité verbale lorsque ce détournement est évoqué avec l'un des producteurs, qui se fâche de savoir que son entretien est en lien avec l'argent détourné et non pas la carrière de Rodriguez. Une subtile mais incisive critique du milieu de la musique. Cet aspect là est cependant vite évincé au profit d'un retournement de situation, pour ceux qui n'avaient aucune connaissance de cette histoire. Un twist amené délicatement qui pose les bases du personnage de l'interprète de Sugar Man.
Pour apprécier la reconstitution de la recherche de Sixto Rodriguez, il faut partir dans ce documentaire sans appréhension, sans connaissance de l'histoire de ce chanteur pour passer au-delà de la fictionnalisation et de la mise en scène de certains moments du récits et rentrer dans ce voyage initiatique pour la réhabilitation d'un chanteur qui a marqué l'essence musicale de certains pays, mais malheureusement ignoré par le reste du monde. Non seulement il a ancré ses chansons dans la culture musicale, mais elles ont en plus été repris à son insu pour la mouvance blanche anti-apartheid en Afrique du Sud. Une discographie qui sonne comme un hymne à l'égalité et une révolte engagée contre le gouvernement anti-démocratique
Les rencontres avec les personnes qui ont été de près ou de loin associé à ce personnage sont bouleversantes car elles témoignent d'une volonté incroyable de croire en sa non-mort, ses producteurs estimant qu'il était l'un des chanteurs les plus bouleversants de sa génération. Certains entretiens peuvent faire sourire tant les individus vendent une image presque divine du chanteur, mais lorsque le moment de la rencontre arrive, il y a quelque chose de très sage dans sa personnalité qui lui confère une âme terriblement attachante. Ajouté à cela des morceaux tellement envoûtants que ce serait un crime de ne pas écouter ses albums à la fin du film.
Un homme d'une sagesse éblouissante qui n'aura pris conscience de sa notoriété à travers le monde que trop tard. Il n'a d'ailleurs été informé de la production d'un documentaire sur lui qu'au moment de la sélection de Sugar Man au festival de Sundance. Après la consécration sud-africaine, le documentaire a été reçu sous un tonnerre d'applaudissements aux Etats-Unis, témoignant une nouvelle fois de la notoriété manquée de cette homme qui se voit réhabilité (trop tard) dans la culture musicale.
Un film d'une justesse, d'un enthousiasme et d'une sagesse éblouissante qui conte le destin manqué d'un homme qui a pourtant su conserver son intégrité et la mesure de soi-même. Une histoire haletante et épatante où l'on ne peut que saluer la volonté féroce de Malik Bendjelloul d'avoir poursuivi la concrétisation de ce documentaire sidérant et élégamment mis en scène.