Show must go home
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le 3 août 2016
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Je me souviens d’une interview de Michel Gondry où il revenait sur son film The Green Hornet en expliquant qu’il n’aimait pas trop les super-héros parce qu’il trouvait le concept du sauveur un peu fasciste. Si le thème de l’individu s’élevant au-dessus de la masse pour la sauver en bon despote éclairé se retrouve dans énormément de productions cinématographiques, en particulier américaines, le genre du film de super-héros en est de manière assez évidente la cristallisation.
Bien sûr, la question du bien-fondé des actions des héros est très régulièrement abordée dans le genre, par des démons intérieurs ou le désaveu d’une foule qui « ne comprend pas », et les super-anti-héros se sont chargés de pousser encore plus loin que Batman ou Spider-man la question centrale : qu’est-ce qu’un héros ? On est au cinéma pour voir quelqu’un avoir des emmerdes, celle-ci permettant en plus d’ajouter par le doute une couche intellectuelle en creusant la psychologie d’un personnage.
Et ça, Suicide Squad l’a très bien compris et en a tiré un parti pris radical : s’en foutre de toutes ces conneries. Premier constat : la psychologie des personnages, c’est chiant et tout le monde le fait. On commence par un type traumatisé par la mort de ses parents et on finit par de longs questionnements stériles sur son rôle de sauveur de l’humanité dans un film très long et sans relief. Donc ça vire totalement et Batman n’a le droit à être plus qu’une silhouette que dans une scène bonus.
Deuxième constat : se poser des questions sur la morale, c’est chiant. On commence par un type qui suite à la mort de ses parents décide de combattre les méchants et on finit par de longs questionnements stériles sur son rôle de sauveur de l’humanité dans un film très long et sans relief. Donc on le laisse à trois généraux randoms dans une scène d’introduction et on n’en parle plus.
Il apparaît alors évident pourquoi ce film se fait autant laminer par la critique : là où depuis des années les super-héros se posent des questions morales et personnelles pour donner une profondeur sombre au genre afin de le justifier intellectuellement, un film se ramène avec une esthétique ouvertement beauf, des personnages ultra-caricaturaux et une réflexion quasi-nulle. Et si quelqu’un critique, on peut toujours lui répondre que c’est pour rire on se prend pas au sérieux. Sauf que.
Sauf que justement, si les personnages paraissent creux, c’est parce qu’ils importent moins que les rapports qu’ils ont entre eux : Amanda Waller/Deadshot, l’Enchanteresse/Rick Flagg, Harley Quinn/Joker, Rick Flag/Deadshot, et même l’Enchanteresse/Incubus. Certains de ses rapports questionnent la question morale (Waller/Deadshot), d’autres la définition du héros (Rick Flagg/Deadshot) et d’autres les rapports hommes/femmes (Quinn/Joker). Et c’est là aussi une nouveauté : le Joker est un faire-valoir habituel (une femme !), secondant la question de sa bonne ou mauvais incarnation par Jared Leto. On s’attend à ce qu’il l’utilise, ils s’aiment.
Qu’est-ce qu’un héros, Waller, Deadshot ou Flagg ? Qui fait le bien ? La fin justifie-t-elle les moyens ? Si oui, peut-on se faire pardonner d’un danger qu’on a soi-même causé ? Non seulement personne ne répond à ces questions, mais personne ne se les pose, alors qu’elles sont constamment là. Harley Quinn utilise-t-elle son âme-sœur le Joker ? On lui répond par le lien entre les deux méchants – « les vrais », ceux du scénario – où une sœur ressuscite son frère uniquement dans son propre intérêt. Est-ce le prix à payer ?
Alors bien sûr, le film a des défauts : l’esthétique néon aurait pu être plus présente, le rythme des tirades laisse parfois l’impression d’un ami qui vous recevant à sa fête réussie vous demanderait toutes les cinq minutes si vous vous éclatez vraiment, mais ne faut-il pas mieux un bon film un peu raté qu’un film de merde réussi, comme tant dont DC et Marvel sont à l’origine ?
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Créée
le 18 oct. 2016
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