Il est clairement impossible de ne pas penser au célèbre roman d’Albert Camus, l’Etranger, en regardant Sundown, le nouveau film du réalisateur et producteur mexicain, Michel Franco : cette histoire d’un homme qui décide (?) de sortir du monde, de ne plus manifester la moindre réaction affective – à la mort d’un proche, à la violence avec laquelle le rejettent les autres membres de sa famille, à un assassinat brutal sur une plage, à la dure vie carcérale, etc. -, c’est en quelque sorte une déclinaison contemporaine du récit existentialiste par excellence. Et Tim Roth, le formidable Tim Roth, incarne parfaitement (pas d’interprétation ici, au sens classique du terme), avec les justes doses d’humanité et d’inhumanité mêlées, Neil Bennett, ce Meursault anglais qui se perd à Acapulco, dans un Mexique qui n’a pas grand-chose de la carte postale et où des dangers véritablement mortels guettent les gringos comme lui et sa famille : ayant abandonné peu à peu le langage – aidé en cela par sa non-maîtrise de l’espagnol -, ses réactions se limitent à un sourire ou des larmes qui, soudainement, envahissent ses yeux.
Comme inspiré par Camus, Neil Bennett décide d’être libre, de choisir (enfin ! On le comprendra peu à peu…) d’exister uniquement à travers ses actes, mêmes réduits à l’essentiel : boire de la bière, manger du poisson, faire l’amour… Mais l’habileté du scénario de Franco, c’est de ne distiller les informations essentielles à notre compréhension de la situation que petit à petit, au fur et à mesure des évènements, sans troubler le travail d’analyse du spectateur (le pourquoi du comment…) ou au contraire la pure contemplation de ces scènes très simples, très naturelles d’existence au soleil, face à la mer.
Certains rejettent le film en parlant de maîtrise excessive de la narration (manipulatrice ?) et de la mise en scène (parfois jugée froide…) : cela nous semble passer à côté de la véritable richesse du film, qui n’est pas un thriller, malgré la tension qu’il distille presque malgré lui. Il y a ici, grâce à une gestion remarquable de la durée des plans, du rythme du film, un souci qui nous semble au contraire très honnête de contempler le monde, de regarder vivre des êtres dans une réalité qui n’est ni idyllique (on est loin de l’image qu’avait autrefois Acapulco…), ni sordide (malgré la pauvreté, le bonheur de vivre est tangible, presque à chaque scène de Sundown).
Si la violence explose parfois, si la vie n’a finalement aucune pitié, on reste à la fin de Sundown profondément troublé d’avoir vécu, aux côtés de Tim Roth, cette parenthèse désenchantée, mais finalement gracieuse. A la limite, on pourra regretter que la toute dernière partie du film fournisse une explication trop rationnelle à ce que l’on vient de voir : cela rassurera ceux qui aiment leur cinéma logique, cela décevra ceux qui ont, comme nous, préféré se laisser emporter par cette recherche existentielle crépusculaire – bien que se déroulant en « plein soleil ».
[Critique écrite en 2022]
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