Dire que je n'attendais pas grand chose voir rien du tout de ce Super bourrés aurait été un doux euphémisme. Pas vraiment emballé ni par le titre ni par le spectacle qui allait potentiellement se dérouler, je dois pourtant reconnaître que Bastien Milheau met en scène avec ce film une bonne comédie, discrète et sans prétentions mais pleine de bonne idées et de sincérité.
Le réalisateur passé par la FEMIS s'empare d'un souvenir de jeunesse teinté de mystère dans lequel il voyait chez ses grands-parents des adultes se délecter d'un curieux breuvage contenu dans des bouteilles sans étiquettes. Une mixture qui était bien évidemment interdite aux enfants. Il n'en fallait pas plus pour déclencher l'idée d'un long-métrage au service d'une histoire d'émancipation d'adolescent vers l'âge adulte sur fond d'amitié. Le film s'empare des codes de plusieurs genres, le teen movie bien sûr mais aussi le road movie et le conte où le héros va devoir apprendre et sera confronté à des situations et personnages archétypaux.
On suit donc l'histoire de Janus joué par Pierre Gommé et de Sam interprétée par Nina Poletto qui sont invités à une fête célébrant la fin du lycée à condition de trouver de l'alcool. Une tâche difficile étant donné le combat mené par la mère de Janus, la maire de la ville qui souhaite endiguer le fléau de la consommation excessive d'alcool des habitants. Suite à une maladresse ils perdront l'argent qui leur est confié et trouveront ensuite une étrange machine dans la cave de Janus.
Bastien Milheau s'empare d'un terroir et d'un territoire occitan qu'il connaît bien où la consommation d'alcool et les beuveries permettent de créer et d'entretenir du lien. C'est toute une tradition de la France rurale qui est ici citée, incarnée par des générations vieillissantes qui ne se reconnaissent plus dans les générations suivantes. Les aïeux de Janus étaient bouilleurs de crus de père en fils et la transmission du savoir-faire de la distillation était un vrai rituel. A l'inverse sa mère et maire progressiste s'oppose fermement à cet héritage car l'alcoolisme fait des ravages et cause des drames, en témoignent tous les platanes du petit village ( qu'il faudrait raser ). Une dichotomie bien réelle et existante où chaque camp avance ses arguments. L'alcool est dans tous les cas moteur de l'action et offre toute une série de gags bien sentis et franchement drôles. C'est aussi un but pour Janus et une jeunesse en perte de repères, avides de sensations et d'évasion dans un monde désert où l'organisation d'une soirée relève alors de l'aventure totale. L'utilisation du Scope et des cadres larges cite le western et permet d'intégrer ces vastes mais vides paysages brulés de soleil dans le récit afin de ressentir tout l'ennui des habitants où les jours se suivent et se ressemblent. Les couleurs ocres, jaunes orangées créent des teintes chaudes et donnent un côté très coloré à l'ensemble qui évoque la BD, c'est amplifié par l'utilisation fréquente de cadres fixes qui pourraient être des cases. Le film se pourvoit d'un petit côté fantastique lorsque les deux adolescents s'aventurent dans la cave mystérieuse et découvrent la fameuse machine. Citant ensuite frontalement Scarface de De Palma, ils vont se lancer dans la production effrénée d'alcool tels des Tony Montana modernes. En effet tel un super-héros, Janus se révèle et utilise le talent qui lui a été donné. On comprend à ce moment le petit côté métaphysique du titre de l’œuvre. Même s'il décide de ne pas embrasser sa destinée à la fin il se sera au moins réconcilié avec ses ancêtres et la transmission se fera malgré tout.
L'authenticité du métrage provient aussi de ce casting et de ces deux comédiens principaux. Leur alchimie à l'écran est totale. Nina Poletto détectée sur un terrain de rugby ( oui oui ! ) se montre incroyable et son personnage de sidekick exubérante fait totalement le contrepoids de Janus. Il permet aussi de questionner l'amitié garçon/fille à un âge charnière. Les seconds rôles dont Vincent Moscato et Barbara Schultz sont excellents tout comme l'est le caméo d'un certain homme politique dans le rôle du grand père et vieux sage gardien d'un savoir ancestral.
Super bourrés c'est en définitive une comédie authentique, rafraichissante et légère que l'on pourrait savourer comme une liqueur de prune l'été sous un parasol dans le jardin.