Sur la piste des Mohawks ... En 1939, John Ford met en scène un western qui est presque une fresque sur les pionniers au tout début des premiers états indépendants constituant les Etats-Unis.
Un couple de jeunes pionniers quitte la vie citadine d'Albany pour aller s'installer dans l'Ouest de New York (la vallée de la rivière Mohawk) : ils partent dans un chariot bâché en tirant une vache ...
La vie y est rude et le pays hostile car les Etats-Unis luttent alors contre les royalistes anglais qui sous-traitent leur guerre en utilisant des indiens farouches. La vie y est rude mais notre petit couple finit par se fondre dans une communauté de gens solidaires.
C'est Henry Fonda et Claudette Colbert qui jouent les rôles du jeune couple de pionniers.
Le choix de prendre Claudette Colbert, que je ne crois pas être une actrice qui ait beaucoup tourné avec Ford (je n'ai pas vérifié), peut paraître bizarre. En effet, Claudette Colbert tourne en général plutôt dans un autre registre, celui de la comédie ou de la comédie sentimentale (Capra, par exemple) et plutôt des rôles de femmes citadines "well educated". Mais je trouve que le choix de Ford est très pertinent car le personnage est justement une citadine qui débarque au fin fond de la campagne et n'est pas habituée à la vie rude au milieu des bois et au travail des champs. Elle joue à merveille ce personnage surtout quand on la voit tenir (à l'envers) le râteau pour faire des gerbes de blé ; l'entrée, le premier soir, dans la cabane en bois est déjà un petit choc comparé à la somptueuse maison familiale qu'elle a quitté et va se transformer en crise de nerf panique quand elle voit sortir de l'ombre un indien - pacifique et placide - qui la submerge de terreur. La scène est vraiment très crédible.
Il y a la scène sublime où elle cherche à suivre du regard son mari partant à la guerre et où, après être montée sur une petite colline, elle s'effondre tandis que la colonne des soldats s'éloigne, comme si brusquement quelque chose manquait à son équilibre. Sublime.
Quant à Henry Fonda, qui lui est un véritable acteur fordien, il a toujours cette espèce de gaucherie ou de timidité, qui est un peu sa marque de fabrique. Ici, il joue très bien le rôle du jeune mari qui ne sait pas bien s'y prendre, qui rêve à un avenir brillant, qui panique lors de la naissance de son fils (sous le regard amusé des commères). Mais il joue tout aussi bien le rôle du pionnier qui sait ce ce qu'il veut et qui est prêt à se battre. C'est un peu le personnage qu'il tient, toutes proportions gardées, dans "les raisins de la colère".
Il y a la scène que je trouve magnifique où, de retour de la guerre, alors qu'il est physiquement épuisé, il raconte la guerre et ses horreurs tandis que Claudette Colbert s'active autour de lui pour bander une blessure, lui nettoyer le visage, le faire boire ... A son réveil, reposé, il contemple le visage endormi de Claudette Colbert. Très beau.
Dans le bonus du film, Bertrand Tavernier raconte que Ford étant très en retard sur le tournage et devant absolument aborder dans le film la fameuse bataille contre les anglais, a trouvé l'astuce de faire faire à Fonda le récit de la bataille pour à la fois gagner du temps et économiser un tournage de bataille ... Tavernier parle de coup de génie. Je n'irai peut-être pas jusque là mais la scène reste très belle.
Et puis il y a la galerie des acteurs très fordiens comme Ward Bond, Francis Ford (le frère de John), John Big Tree (celui qui a déclenché la peur panique de Claudette Colbert), Arthur Shields (le pasteur hystérique), ...
J'ai trouvé la réalisation de John Ford de bon niveau. C'est son premier film en couleur qui rend bien les paysages (de l'Utah semble-t-il). Il y a de très belles scènes comme la longue course poursuite de Fonda qui est poursuivi par trois indiens où de beaux plans se succèdent créant un petit moment de suspense.
On y trouve les habituels plans (chez Ford) où les personnages sont filmés à contrejour, sous forme de silhouettes noires accompagnant souvent une atmosphère qui s'alourdit suite par exemple à un orage (comme ici).
La scène finale est typique aussi où, la victoire des Etats-Unis étant acquise, l'indien John Big Tree se dresse en contre-plongée, très symboliquement et où Henry Fonda se tourne vers Claudette Colbert pour conclure par "Et si on se remettait au travail; On a beaucoup à faire"
D'un point de vue technique, la postsynchronisation de la VF est désastreuse et la voix de celle qui double Claudette Colbert pas très belle. Il est donc bien plus goûteux de regarder ce film en VO.
En conclusion, j'aime bien ce western qui met en scène des pionniers, contre vents et marées, alors que les Etats-Unis luttent pour leur indépendance.
Très beau western avec de bons acteurs que ce soit Fonda ou Claudette Colbert dans un très bon rôle à contre-emploi.