Ce deuxième visionnage s'est révélé plus convaincant que le premier, qui m'avait laissé le souvenir d'un bon film, sans plus, assez loin des plus belles réussites de Jacques Audiard.
En fait, "Sur mes lèvres" fait partie de ces films dont ma mémoire n'avait conservé qu'une impression très floue : je me rappelais des deux personnages principaux, et c'est à peu près tout. La redécouverte n'en fut que plus agréable…
Il faut dire que ces deux anti-héros cabossés et attachants font toute la force du troisième long-métrage d'Audiard : Carla la secrétaire sourde au physique ingrat, que la solitude rend obsédée par le regard des autres, et Paul le repris de justice rustaud mais débrouillard, attifé comme l'as de pique.
Le début du film est formidable, qui confronte habilement ces deux inadaptés sociaux, a priori insignifiants, jusqu'à nous apparaître progressivement attachants - notamment grâce aux prestations incroyablement intenses d'Emmanuelle Devos et Vincent Cassel.
La mise en scène d'Audiard se révèle souvent remarquable, trouvant la juste tonalité entre instants pathétiques et ironie mordante ("Je viens de Centrale" - "Mais la centrale de quoi?"), avec de belles idées de cinéma, à l'image de cette séquence où la lecture sur les lèvres sera apparentée à un véritable orgasme.
Bien plus tôt dans le film, il y a aussi cette scène dans laquelle Carla se retrouve seule avec un bébé ; vu l'instabilité psychique du personnage, on s'inquiète pour le nourrisson lorsque celui-ci se met à pleurer longuement. En fait, Carla se contente de retirer son appareil auditif pour échapper aux pleurs…
Je serai plus réservé sur le scénario co-signé par Tonino Benacquista (que ma mémoire avait donc escamoté, est-ce un signe?), qui se laisse suivre agréablement mais comporte nombre de facilités narratives, trop pour un cinéma "exigeant" comme celui d'Audiard.
L'histoire parallèle du contrôleur judiciaire pose également question, tant elle semble plaquée artificiellement au récit.
Quoi qu'il en soit, "Sur mes lèvres" reste un bien joli film, sorte de faux polar sentimental aux personnages touchants, qui devrait connaître bientôt une adaptation sous forme de série TV, près de vingt ans après sa sortie.