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Suspiria de Dario Argento fait partie de ces œuvres uniques qui ont rapidement acquis le statut de film culte aux yeux d’une large communauté. Plus qu’un simple film de genre, Suspiria est le porte-étendard du giallo, ces films policiers italiens où l’horreur se mêle à l’érotisme sur des fonds sonores et visuels déroutants. A l’heure où tous les films cultes sont l’objet d’un remake, il était étonnant que Suspiria n’y est pas encore eu le droit. Depuis ce 14 novembre 2018, c’est désormais chose faite grâce à Luca Guadagnino. En entreprenant un tel projet, le réalisateur italien se savait attendu au tournant.


Premier constat, ce remake est véhiculé par une réelle démarche artistique. Guadagnino n’a pas livrée une pâle copie destinée au fan-service. Il s’est complètement affranchi de l’histoire originale pour y apporter sa version, différente mais incarnée. Son Suspiria est un hommage, en six chapitres, d’un artiste à une œuvre qu’il admire, qu’il connait si bien qu’il peut se permettre de la déconstruire pour la réinventer. Finie l’esthétique giallo hallucinée d’Argento, place à des couleurs plus austères et lissées, à un mélange de blanc et de rouge orangé. Finis les effets lumineux tapageurs et la musique angoissante et oppressante des Goblin, place à la douceur et à l’envoutement de la bande originale composée par Thom Yorke. Mais surtout, fini l’onirisme, la terreur, ce monde à la fois réel et fantasmagorique de l’école de danse dans laquelle Suzy est entrée sans pouvoir s’en échapper. Place à cette réalité ultra stylisée, ancrée dans un contexte géopolitique concret qui prend, finalement, trop d’importance dans le développement de certaines sous-intrigues. Long de 2h32, le film gagnerait à être raccourci en se recentrant sur les événements au sein de l’école et ainsi s’éviter certaines longueurs.


Dans le Suspiria de Guadagnino, Susie Bannion, une étudiante américaine interprétée par Dakota Johnson, pose ses valises dans un Berlin déchiré par le mur pour intégrer la prestigieuse compagnie de danse Helena Markos. Elle tape rapidement dans l’œil de Mme Blanc, l’énigmatique chorégraphe en chef incarnée par une Tilda Swinton au sommet de son art. Tellement au sommet de son art qu’elle se permet d’interpréter également les personnages du Docteur Josef Klemperer et de la Mère Helena Markos. Au sein de l’école, Susie prend la place de Patricia, qui a mystérieusement disparu après une énième crise de folie. Sara, l’une des meilleures élèves, a décidé de la prendre sous son aile. Petite friandise du casting, Jessica Harper, la Suzy originale, fait un caméo qui prend tout son sens dans le rôle d’un fantôme au lourd passé planant au-dessus des personnages et du film.


C’est à partir de ce postulat que cette adaptation va se différencier de son aînée en se réappropriant entièrement l’histoire en la transposant aux codes de notre époque. Dario Argento propageait l’horreur dans l’ésotérisme et le surnaturel de cette école de sorcières à Fribourg, où Suzy était la victime pure et innocente, témoin des pires atrocités. Luca Guadagnino met en scène un cauchemar hyper réaliste, où le mal est humanisé et décuplé dans ce contexte de Guerre Froide au cœur de Berlin. Susie n’est plus la silhouette innocente, mais une femme forte qui accepte et combat ses démons. La danse n’est plus un simple décor mais un élément central du film qui offre à Dakota Johnson l’occasion de livrer une performance spectaculaire. Le réalisateur a intelligemment évité le piège du recopiage des scènes cultes de l’original. La mise à mort est toujours artistique et magnifiquement filmée, mais la violence soudaine laisse place à la torture chorégraphiée. Pas d’assassinat par pendaison à travers les vitraux. Guadagnino nous livre une longue scène de danse possédée, en montage parallèle, où les mouvements francs de Susie sont subis et amplifiés par Olga, une camarade réfractaire enfermée dans une salle secrète, allant jusqu’à la contorsionner à l’extrême.


Suspiria ne suscite pas la même peur que son aîné. Ce n’est plus cette frayeur surnaturelle, abstraite, qui touchait directement le subconscient. C’est une horreur puissante, lourde, comme chaque mouvement de danse qui vient frapper le sol. C’est une horreur concrète, à laquelle on est confronté et dont on ne peut pas s’échapper. Entre les deux films, quarante ans se sont écoulés. La société a changé, ses peurs ont évolués. En 1977, l’incertitude du futur, de l’inconnu, questionnait la jeunesse et représentait cette peur impalpable En 1977, Suzy Banner subissait innocemment le décor et les événements. En 2018, la jeunesse est déjà confrontée à ses propres démons. La violence est présente, concrète et banalisée au sein d’une société où les codes et les valeurs sont remis en cause. En 2018, Susie Bannion a conscience que toutes les clefs sont entre ses mains et qu’il faut se battre pour réussir.


Au-delà de l’hommage et du simple remake, Luca Guadagnino nous propose une adaptation intéressante et justifiée. Loin d’être une pâle copie, il s’est totalement réapproprié une histoire qui le fascine pour la transposer à notre époque, avec nos codes. Moins intense et sans doute moins marquant que son illustre aîné, le Suspiria de 2018 a le mérite d’être une vraie proposition artistique et esthétique, portée par une réalisation maîtrisée et un casting de qualité.

blajc
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le 17 nov. 2018

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