Etant à la fois un très grand fan du Suspiria de Dario Argento et à priori pas des plus enthousiaste avec le concept même du remake c'est plutôt sur la défensive et la réserve , voir même carrément le couteau entre les dents que j'ai vu débarquer ce projet de refaire le film culte de 1977... Il restait donc le bénéfice du doute et un maigre espoir de voir le film s'orienter vers ce qui reste pour moi l'une des seules véritable légitimité d'un bon remake à savoir d'offrir à un artiste la possibilité de nous livrer sa propre version d'un sujet déjà traité. Car dans l'art, et même si on a de plus en plus tendance à oublier que le cinéma en soit un vu ce que l'on nous donne à avaler, ce qui compte ce n'est pas tant le sujet que son traitement. Donnez un même paysages à peindre à 100 artistes , les seules œuvres intéressantes resteront celles dans lequel le point de vue de l'artiste dépassera de loin la simple représentation basique du sujet. Je déteste au plus haut point les remakes par des réalisateurs interchangeables qui sont fait uniquement pour satisfaire et flatter la paresse des spectateurs. J'ai horreur de ses films que l'on refait pour faire plus moderne, pour mettre au gout du jour, pour mettre de la couleur sur du noir et blanc, pour occidentaliser des intrigues et des personnages ou pire encore pour lisser les rugueuses aspérités dérangeantes d'une oeuvre originale. Mais quand il existe un vrai point de vue, quand la vision du réalisateur est plus forte que le sujet, quand le film original devient la simple matrice de nouvelles obsessions alors le remake, qu'il soit réussi ou non d'ailleurs, possède au moins déjà une légitimité à exister. Et comme le Halloween de Rob Zombie ou La mouche de Cronenberg , ce Suspiria appartient a ses œuvres rares qui sont tellement personnelles et différentes des originaux qu'elles ne peuvent plus se jauger uniquement à la simple lecture de la comparaison.


On retrouve dans ce Suspiria la même colonne vertébrale scénaristique que dans le film de Dario Argento avec une jeune fille américaine qui débarque dans une école de danse en Europe (A Berlin dans le cas présent) qui semble être dirigée par une confrérie de sorcières.


Pas de modernisme superficielle ou de mise aux goûts du jour; d'emblée le réalisateur Luca Guadagnino décide de situer l'action de son film dans l'univers froid et austère du Berlin de 1977 (Année de sortie du premier film). On est tout de suite transporté dans un univers terne, aux couleurs monotones et délavées, aux architectures imposantes, massives et rigoureuses sous un ciel uniformément plombant et désespérément gris qui ne cesse de pleurer de la pluie ou de la neige. On est donc très loin des couleurs primaires et l'univers baroque , poétique et fantasmagorique d'Argento qui transformait Suspiria en un conte de fées horrifique. Cette nouvelle version s'ancre dans une réalité bien plus sombre, plus morne et plus réaliste avec en toile de fond le Berlin divisé des années 70 et en arrière plan l'histoire les agissements de la bande à Baader et les fantômes du nazisme. Mais surtout Luca Guadagnino emporte son film vers le cinéma fantastique et horrifique chargé d'angoisse du Roman Polanski de Rosemary's Baby ou du Locataire. Dans ce contexte le film choisit également de mettre la danse au cœur même de l'intrigue alors qu'elle n'était qu'un prétexte dans le film de Dario Argento. Toutes les séquences de danse, toutes les chorégraphies deviennent alors des moments d'une très grande force digne d'un sabbat dans lequel les corps littéralement possédées se livre à des mouvements d'une intensité charnelle et angoissante comme rarement on en aura vu au cinéma. Avec un sens du montage et du découpage d'une précision chirurgicale le film nous offre des moments d'une puissance dramatique et horrifique assez sidérante à l'image de cette magnifique scène durant laquelle les mouvements de danse de Susie se répercute sur le corps disloqué et brinquebalé d'une autre jeune fille réduite à l'état de triste marionnette. Le film regorge de séquences qui distille une véritable angoisse sourde, pesante et malaisante là ou tant de films d'angoisse ne s'appuie plus désormais que sur des mécaniques de sursauts digne d'un parc d'attraction. Oui, je trouve que ce Suspiria fait peur et c'est en fait suffisamment rare pour ne pas le souligner en gras. Les séquences de cauchemars oniriques et maladives, les scènes de chorégraphie comme des messes noires, la découvertes des ses corps pourrissants et tordues par Sara (Mia Goth), l'ambiance globale du film, cette bande son remplie de soupirs, de murmures et de chuchotements, jusque dans ce final certes grandiloquent et imparfait Suspiria distille un formidable et trop rare parfum d'angoisse.


Le film de Guadagnino n'est pas loin de remplir toutes les cases de la perfection cinématographique, de par sa mise en scène inspiré, ce sens aigu du montage et du découpage, sa photographie cafardeuse, son travail sur le son, les textures des décors, l'intelligence et la rigueur de la démarche artistique et jusque dans la musique mélancolique et angoissante de Thom Yorke qui n'a rien à envier aux synthés anxiogènes des Goblins. Il faut aussi saluer aussi l'excellence du casting et de la direction d'acteurs ou plutôt d'actrices le films étant à 98% féminin. Dakota Johnson trouve dans le personnage de Susie Bannion l'un des plus intense rôle de sa jeune carrière, la frêle Mia Goth découverte dans A Cure for life est bouleversante tout comme Cloë Grace Moretz dans le rôle bien trop court à l'écran de Patricia; quant à Tilda Swinton elle est à la fois fascinante, touchante et terrifiante dans son rôle de chorégraphe. Et puis cerise sur le gâteau, Guadagnino nous permet de retrouver Jessica Harper (la Susie du Suspiria de 1977) dans un tout petit rôle certes mais très émouvant


Alors tout n'est pas absolument parfait dans ce Suspiria 2018 et sans vouloir bouder mon immense plaisir il convient de tempéré un petit peu mon enthousiasme. Tout d'abord je voudrais revenir sur la petite “arnaque” Lutz Ebersdorf prétendument acteur de 84 ans qui incarne le Dr Joseph Klemperer dans le film. Je n'ai jamais compris l'intérêt de tartiner un comédien de deux tonnes de latex et prothèse pour lui faire jouer une personne âgée alors qu'il existe des tonnes de très bons comédiens ayant tout simplement l'age du rôle. Dans le cas présent c'est Tilda Swinton qui incarne ce rôle masculin ce qui pourrait “presque” s'expliquer par cette volonté du réalisateur de faire un film de femmes, sauf que le film comporte malgré tout quelques rôles masculins même si ils sont très secondaires ou proche de la simple figuration. Passe encore pour un acteur qui incarne son personnage sur différents époque et période de sa vie dans un même film, mais là rien ne justifie vraiment un tel choix. Le plus ridicule dans tout ça, c'est que la supercherie se voit comme le nez au milieu du visage au point que ça devient limite risible et que ça impacte la crédibilité du film. Peut être que Luca Guadagnino a voulu faire un coup, sauf que là c'est plutôt raté. L'autre réserve plus mineur que je voudrais pointer concerne la fin du film qui verse un peu trop dans la grandiloquence , le filtre rouge vif et le gore numérique. Globalement j'apprécie plutôt la scène pour sa folie, son intensité et cette façon très graphique dont les corps explosent littéralement mais pourquoi le faire avec des effets numériques aussi approximatifs et visuellement en contradiction totale avec l'esprit très seventies que porte le film ?


On reproche aussi souvent au film de Guadagnino de se perdre par prétention dans l'abondance de ses thématiques plutôt que de rester dans les rails de son statut de simple film d'horreur. Alors oui peut être que parfois le film se perd un peu entre son contexte politique, sa volonté de mettre la femme au centre de tout tout en montrant la difficulté son émancipation et quelques sous intrigue comme celle impliquant le passé et la femme du Dr Joseph Klemperer mais je préfère encore la multiplicité de thématiques à l'absence abyssal de fond.


Pour moi Suspiria est incontestablement un très grand film dont les images continuent de me hanter bien après son visionnage. Le film est d'une telle richesse et surtout d'un telle maîtrise formelle que je lui pardonne sans le moindre soucis ses quelques défauts. Suspiria, un seul titre pour désormais deux grands films.


La critique illustré ICI

Créée

le 1 nov. 2019

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Freddy K

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