"Suzanne" est avant tout un film de l'absence. Ce qu'elle laisse sur les visages, dans les gestes de ceux qui restent. C'est d'abord l'absence d'une mère qui se fait sentir dès le début du film, quand seuls le père et la sœur assistent au spectacle de danse de Suzanne. Quand le père est seul, et parfois démuni, pour élever deux petites filles. Le cimetière devient alors comme un point d'ancrage, où chaque membre du désormais trio familial passe seul ou à plusieurs. Mais la plus grande absence, la fuite constance, l'eau qui ne dort jamais, c'est Suzanne. Pourtant, elle passe d'abord d’élément mobile, dansant, enfant, sur une scène, à élément immobile quand son père voyage longuement sur les routes, au volant de son camion. Ou encore quand Maria, la sœur, fait de nombreux voyages en train. Pourtant, Suzanne devient vite, dès ses 20 ans, un enfant déjà abandonné, celle que l'on attend. Elle fuit, dans un rêve d'amour fou et dangereux qu'elle se construit avec un petit voyou.

Le film, dès les absences de Suzanne, qui écrase de sa présence, prend toute son ampleur. Il explore notamment avec brio la relation entre les deux sœurs: Maria, plus jeune, devient le pilier mais aussi l'alibi, ce qui reste stable dans l'équation et permet à Suzanne de s'envoler sans crainte, en laissant juste quelques billets qui, croit-elle, feront l'affaire. Mais elle laisse en suspend le devenir de son enfant, la vie de sa sœur, qui respire dans l'attente, et l'admiration pour sa sœur. Quant au père, il subit ces absences avec force et désarroi, il recherche sa fille dans les errances, voudrait la renier, se rend compte qu'il l'aime plus que tout. Il est l'être sans cesse abandonné, forcé de rester. François Damiens livre une partition touchante à ce père.

Finalement, c'est dans les ellipses, tout ce qu'elles suggèrent des départs et des cavales, de la violence aussi, dont seules les conséquences seront visibles, jamais l'acte lui-même, que le film puise son sens et sa force. Nous sommes donc toujours comme en suspens, surpris, stupéfaits même de ce qui va se passer la seconde suivante et dont seule Suzanne, qui ne sait pourtant pas trop où elle va, marchant à l'instinct, a les clefs. Le destin et la trame du film sont dans les retours, les départs et les abandons de Suzanne. L'aventure, elle la connait hors de la caméra. Le film est le cheminement d'une femme de son enfance à ses trente ans, quand, rattrapée par la vie, giflée par la perte, elle se pose enfin. Certes enfermée mais jamais plus libre qu'en décidant de renoncer à ce qui la bloquait dans la fuite.

Le film est touchant parce que fortement sincère, avec de pures échappées. Et, encore une fois, comme dans son premier film (plus fade, moins incarné), c'est dans les relations familiales, les liens que la réalisatrice est la plus forte, la plus juste. Resteront longtemps en mémoire ces deux sœurs qui se cherchent, se serrent l'une contre l'autre, s'aiment, et, surtout, cet instant où Suzanne apparaît comme une vision face à Maria. Elle est interprétée avec fraîcheur et force par une Adèle Haenel majestueuse dans ce rôle de petite sœur, de bouée de sauvetage. Les deux actrices, dont Sara Forestier, livrent des partitions exactes et exaltées qui portent le film de bout en bout dans la douleur autant que dans la joie. Laissant un souvenir amer et sucré, impérissable pour ceux qui restent.

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le 1 janv. 2014

Modifiée

le 1 janv. 2014

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