Lors de sa sortie, le film ayant été interdit avant même d’être tourné, toute la clique des cahiers du cinéma s’et levé comme un seul homme, poussant des cris d’orfraie et invoquant tout à la fois la liberté d’expression de L'ART et le respect de Diderot.

Mais, après avoir visionné ce film, qu’en est-il ?

J. Rivette se vante d’avoir suivi et respecté le roman de Diderot. Ce qui est exact en ce qui concerne les premières parties du roman : il copie mot pour mot toutes les intrigues jusqu’aux dialogues.

Mais il en modifie fondamentalement la troisième partie de la manière suivante.

Dans le roman, la religieuse, encouragée par un prêtre, décide de fuir le couvent où elle est enfermée. Sa fuite ne se passe pas comme elle le souhaitait : elle se retrouve dans un fiacre ou un jeune moine tente de la violer mais le conducteur du fiacre la protège. Elle se rend à Paris, est approchée par une matrone pour devenir prostituée mais choisit de travailler comme blanchisseuse malgré la dureté de la tâche (elle dit : l’attente de la misère ne donna aucune forces aux séductions grossières auxquelles j’y fus exposée). Elle écrit le roman de sa vie qu’elle adresse à un marquis âgé qui a montré de la compassion pour elle afin de le persuader de l’embaucher comme femme de chambre. La fin est ouverte mais on se doute que le marquis va l’embaucher et qu’elle sera enfin libre.

Dans le film de Rivette, point de marquis âgé et empathique mais un homme d’église qui propose à la religieuse de l’aider. Il la fait sortir clandestinement du couvent et tente de la violer. Elle s’enfuit, est retrouvée dans un fossé par deux paysans, fait la servante puis passe de blanchisseuse à pute de luxe et se jette par la fenêtre.

Quand à moi je suis écœurée de voir gâché un si chouette roman, un hymne à la liberté, au libre arbitre contre tous les systèmes tyranniques, l’histoire d’une femme courageuse capable de s’émanciper pour sa liberté et d’écrire le roman de sa vie, une vraie héroïne qui a enchanté ma jeunesse. La question est : si j’avais commencé mon éducation par Rivette plutôt que par Diderot, n’aurais-je eu d’autre choix que de me suicider pour ne pas devenir une pute de luxe, comme me l’assignait culturellement les hommes de ma génération ,

Et, à bien y regarder, Rivette fait partie de ce que j’appellerai les fossoyeurs des femmes de ma génération.

domlap
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le 31 juil. 2023

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