J'ai joui des yeux hein !
(je l'ai revu une deuxième fois samedi 22 avril, j'ai encore plus joui. Voilà)
Bon je suis allé voir Suzume no Tojimari, film de Makoto Shinkai, je passe sur la critique externe, tout le monde a le contexte et une idée de ce que ce réalisateur a fait d'autre.
Si la question de Tenki no Ko (2019) ne se pose plus trop, (même s'il faudrait que je le revoie), figurez-vous en revanche que j'ai un petit peu préféré ce dernier long métrage d'animation par rapport à Your Name (2016) !
J'ai trouvé les personnages très charismatiques, vivants et caractériels. Ça fait du bien de voir des êtres humains à l'écran dans un quasi block buster. Et il y a un dialogue constant entre le paysage et l'être humain (c'était déjà le cas dans Your Name). Le film s'ouvre sur une adolescente qui part de chez elle, un jour de soleil, à vélo, et la mise en scène nous fait découvrir l'environnement qui est le sien jusqu'à nous révéler cette baie magnifique, purement gratuite, qui n'a aucune utilité ni scénaristique ni symbolique. Sur un coup de tête, on part à l'exploration d'un Japon qui se vit au jour le jour, avec une tension qui se révèle progressivement. Quel besoin avait l'auteur de dessiner tout ça ? Aucun. Les paysages ne sont pas spécialement exploités à une fin précise et c'est au spectateur d'y voir une signification personnelle. En fait, il a fait le portrait d'un pays qui correspond à une certaine vision du Japon, mais qu'il laisse en toile de fond. Donc je ne pense pas que l'ouverture de cette baie ai une signification particulière, en revanche, mes larmes, elles, ne peuvent pas me mentir : sans scénario, sans tension, sans connaître aucun personnage, Makoto Shinkai a réussi à me faire pleurer de joie face à cette petite ville côtière.
Et c'est à peu près la même chose tout au long du voyage. Sa gratuité, son explication simple et positive, sa beauté formelle. Bref j'ai trouvé une vraie proposition esthétique au fait de construire le récit sur un genre de panorama très lumineux mais absolument pas abstrait ou fantaisiste. Au contraire c'est la force du quotidien qui fait de Suzume tout son charme. C'est d'ailleurs une des thématiques du film je pense : le thème central n'est pas tant la mort que la survie de tout les jours, la valeur de chaque instant.
En plus le film est subtilement drôle. L'histoire n'est pas trop lourde. Elle est juste ordinaire, donc y a du drame et de la comédie qui s'enchaîne de manière assez organique et ça c'est fort de réussir à le faire naturellement. Pareil, le mythique côtoie l'ordinaire.
Au début je me suis dit oula ils vont pas réussir à enchainer le surnaturel aussi bien que dans Your Name, mais en fait si, parce qu'il y a un dialogue directement entre la vie quotidienne et la catastrophe, qui elle, est ordinaire. Et faire un film sur le rapport entre la vie ordinaire et la morte extraordinaire c'est juste sublime. Dans cette voie esthétique là je pense que la musique est la plus utile : elle parvient à tirer du fond des âges, des temps mythiques, grâce à une sonorité "traditionnelle" et dramatique toute l'ampleur intemporelle de la catastrophe, de la mort, la mort qui plane. Je pèse mes mots en disant que Suzume est un magnifique Memento Mori. Mais c'est loin d'être un Memento Mori pessimiste comme on pourrait le penser. Au contraire, cette fresque macabre qu'est le ver côtoie clairement l'esthétique du Reverdie, de la poésie pastorale et utopique. Quand la mort veut bien nous laisser un peu de répit, le soleil illumine la terre, ses montagnes, ses rivières, ses champs, ses sociétés qui vivent du mieux qu'elle le peuvent. Dans une touche un peu similaire, on peut mentionner Princesse Mononoke.
Un autre aspect intéressant est l'antagonisme du chat, cible d'empathie par excellence. Le conflit entre cette colère légitime et cette empathie également légitime est tiraillant, mais je constate que peu de gens laissent leur chance à ce tiraillement moral. On préfère se ranger dans l'un ou l'autre côté, en disant soit que le chat est un connard, soit que c'est une pauvre bête. Bon au moins les partisans de la deuxième option auront eu raison ! C'est vrai qu'il est gentil le chaton :3
J'ai du mal encore à me prononcer sur l'histoire d'amour. Je souffre trop de la comparaison avec la grande soeur. La relation entre Suzume et Sota est plus terre à terre que dans Your Name, plus ancrée dans le réel, avec des enjeux simples. Elle n'est pas l'aboutissement d'une quête mystique pour se trouver entre deux époques quoi. Mais d'un autre côté elle semble moins bien travaillée, certains dialogues (pour le français que je suis en tout cas) sont clairement artificiels et souffre de dilemmes carrément superflus "je vais me sacrifier pour toi", "non moi je vais me sacrifier pour toi". Calmez vous sur la tragédie lowcost et gardez du temps pour 2-3 scènes très touchantes, vraies, et universelles que vous avez réussi à créer tout le reste du film.
Enfin, le film souffre un peu d'un scénario artificiel. Je me comprends, il est artificiel à l'intérieur de la scène, je le trouve pas spécialement capilotracté avec le recul et sur le long terme. Je vais développer mais je précise dès maintenant que je m'en fiche du scénario, surtout avec le recul. C'est juste que sur le moment, j'étais en train de prendre mon pied et raaah le scénario m'empêche de profiter de la vue et des personnages pendant 1 minute.
Mais ce que j'ai pensé c'est qu'à chaque situation on a une péripétie qui doit être résolue, et forcément pour faire avancer l'histoire on a droit à une solution facile. C'est à la fin que ça pose problème. Avoir un scénario cyclique et simple pendant les péripéties de voyages ça me dérange pas. Donc pendant toute la première heure je me régale avec les 3 premières portes, puisque il n'y a à proprement parler pas d'autre intrigue que le voyage sur les traces du chat.
Donc il aurait fallu continuer ce superbe panorama de voyage, juste ultra touchant entre deux amoureux dans un Japon, un pays du quotidien, et non de l'extraordinaire. Ou alors assumer de manière un peu plus organique et naturelle cette grande quête poétique pour l'équilibre du monde. Le côté "ah mince il s'est sacrifié, donc je retourne le sauver, mais ducoup je vais me sacrifier moi, mais en fait je veux vivre, donc je sais pas quoi faire, ah ouf j'ai dit au chat que je l'aimais donc il se sacrifie", fin les mecs soufflez un coup, vous avez voulu faire beaucoup trop compliqué et on aurait pu dégager de la place pour mieux porter un peu moins d'enjeux. Là on dirait juste qu'ils ont essayé de rentrer à 4 dans leurs chaussures.
Mais bon moi j'en ai rien à faire du scénario donc vu qu'ici ça n'a pas du tout gâché le reste du film (développement des personnages, animation, dialogues, mise en scène, musique...), les deux derniers paragraphe c'est juste histoire de.
C'est un film qui reste très touchant dans son déroulé. Si on oublie la construction un peu foireuse du scénario (mais on est au cinéma, pas en rhétorique) et qu'on profite de chaque scène l'une après l'autre, Suzume no Tokimari est une petite perle. Et je dirais même que plus on s'arrêtait sur un moment, plus le récit se mariait avec l'animation et donc plus le film était beau. Je vous ai déjà donné les exemples.
Bien à vous,
Leodegar, le 17 avril 2023