Après le succès planétaire de Your Name, Makoto Shinkai aurait pu céder, par excès de confiance, à la facilité. Ce Suzume, qui porte le nom de son héroïne, digne des meilleurs Ghibli, prouve le contraire.
La mise en scène dynamique, époustouflante par moments (on pense au final, scène de combat entre forces du bien et du mal dans un paysage désolé), traversée d'images superbes, entre beauté évidente et 2D de peintre des village côtiers japonais et couleurs survitaminées en 3D des visions fantastiques, honore les grandes idées scénaristiques qui bâtissent le film (on pense cette fois à l'audacieux choix d'incarner le "méchant" par un petit chaton kawaï à voix d'enfant).
Alors il faut certes prendre son mal en patience et passer la pénible première heure, infantilisante, bourrée de péripéties tour à tour grotesques (les démons du mal cachés sous les terres du Japon, dont l'un est une pierre devenue chaton, sortent par des portes pour créer des séismes, et transforment l'un des personnages en chaise à trois pieds ...), répétitives (l'interminable série de portes qu'on doit fermer, au fur et à mesure du périple), s'encombrant de longueurs, de personnages et détails inutiles qui freinent le rythme, pour enfin atteindre l'âme sensible.
Dans sa deuxième heure, aux allures de road trip estival entre personnages qui n'ont rien à voir (très "Kitanesque"), ce Suzume s'avère finalement, malgré son inutile complexité métaphorique et délirante, un très beau (et émouvant) récit initiatique, d'apprentissage du passage à l'âge adulte par le dépassement du deuil des parents et des traumas d'enfance, et par la découverte du courage au fond de soi et, bien sûr, de l'amour.
Mais ce qui fascine le plus est peut-être ce que Makoto Shinkai semble dire de lui, et notamment de sa peur presque enfantine de la mort. Cette mort brutale qui s'incarne tout entière dans l'angoisse écologique (rappelant le Kurosawa de Yume), et la plaie ouverte laissée par le tsunami et l'accident nucléaire de 2010, catastrophe que le Japon semble décidément tout juste arriver à mettre à distance et assumer (pour preuve le récent La Famille Asada).
En acceptant de regarder son passé en face, Shinkai fait acte de rebond, et dans une sorte de reconstruction artistique et publique, parvient à regarder dans les yeux ce fantôme qu'incarnent les ruines et côtes ravagées dont ne restent que les traces de vies englouties en quelques secondes.
En acceptant de leur trouver une réelle beauté apaisante (magnifiques visions urbex dans laquelle la nature renaît), il parvient à tourner la page, à cicatriser, et à grandir.
Suzume se fait alors, au-delà du divertissement parfois tape à l'œil, bruyant et tout public, une œuvre sombre et finalement délicatement émouvante, car un acte de résilience plus que bienvenue, un aveu personnel à prendre dans son ampleur nationale et collective.