"Realised by Daniels". Des purs inconnus ? Que nenni, le duo de réalisateurs font partie de ces quelques clipeurs sachant imposer leur patte et imprimer leur nom. Ils sont notamment à l'origine du clip du titre Turn Down for What (clip) sorti en 2014, où l'on voyait des résidents d'un immeuble se trémousser de manière improbable en passant d'un étage à l'autre; ou encore, plus réussi à mon sens, celui de Tongues de Joywave avec des nudistes pourchassés par des gugus armés d'un bidule qui les vêtit de force (clip nsfw).
Si Swiss Army Man constitue leur premier long métrage, il ne s'agit pas pour autant de leur premier pas vers le Cinéma. Ils ont en effet quelques courts à leur actif évoluant dans une sphère tout aussi barrée. D'ailleurs on peut facilement remarquer qu'ils ont choisi de jouer la carte de la sécurité et du recyclage en reprenant certaines idées créatives qu'ils avaient déjà explorées auparavant. Avant de faire de permettre à Dano de faire du jet ski avec le cadavre de Radcliffe, ils faisaient du skatedog avec leur toutou (Dogboarding), jouaient avec des marionnettes humaines (PUPPETS) et s'amusaient déjà à faire jaillir de l'eau par tous les orifices imaginables (My Best Friend’s Wedding/My Best Friend’s Sweating). Des génies diront certains, des débilos diront d'autres. Pour autant le film est tout de même un gros délire plutôt bien goupillé qui parvient à marquer sa propre identité.
Dès les premières minutes faussement dramatiques, les prémisses d'un rire coupable devant un Dano suicidaire sont très vite troquées par un rire gras avec l'arrivée expéditive de Radcliffe. Je ne dirais pas un traitre mot sur leurs rôles précis, mais une chose est sûre, la promesse du couteau suisse humain est très largement honorée. Dano fait du Dano, à savoir un personnage détraqué qui peut évoluer en roue libre sans problème, confirmant une nouvelle fois son charisme naturel, la palette de son jeu et sa capacité de présence à l'écran. Radcliffe poursuit son entreprise de déconstruction de son image en incarnant un merveilleusement ce cadavre multifonction ambulant. On comprend aisément sa récente sortie façon Séguéla ("Si tu reprends ton rôle d'Harry Potter après 40 ans, c'est que tu as raté ta carrière"). Les deux complices s'éclatent autant que leurs personnages et ce plaisir est très communicatif.
Swiss Army Man pourrait s'apparenter à un film à sketches avec des chapitres relativement bien marqués. Par contre, c'est loin d'être un film de petits malins comme Deadpool par exemple. Ici, pas de coquille vide remplie de lol et d'écriture facile visant à compenser les faiblesses de la technique. Il y a une vraie application dans le déroulement de la grammaire de l'absurde. La "découverte" de Radcliffe reste le fil rouge du film et nous offre de nombreuses séquences drôles soutenues par une belle mise en scène et un montage millimétré. Les Daniels savent parfaitement conter l'histoire en évoluant uniquement dans la sphère du visuel et peuvent sans problème insérer quelques sursauts de rythmes débridés qui fonctionnent très bien, sans aucun sacrifice de lisibilité. Le décalage entre le ton très premier degré, avec son enrobage formel frôlant presque l'onirisme, rend certains passages crados plutôt croustillants.
Mais voilà, il fallait s'y attendre, sur 1h37 il était impossible d'imaginer qu'ils pouvaient simplement se contenter de faire mumuse avec l'ex-apprenti sorcier. Il y a tout de même un liant narratif apportant un peu de consistances à l'ensemble, mais il faut reconnaitre qu'il est beaucoup moins reluisant. L'histoire nous berce dans une pseudo morale lisse et convenue qui fait un peu tache avec l'excentricité ambiante. Le pire c'est que, de par sa construction autoréférencée, incluant plusieurs flashbacks nous rappelant le "best of" des moments qu'on vient de passer (je raccourcis à peine), on se rend vite compte que passées 4/5 séquences magiques qui fonctionnent du tonnerre, il ne se passe pas grand-chose si ce n'est un discours plat et un humour "gastrique".
Je ne retiens donc pas un grand film, mais plutôt un super terrain de jeu bien créatif qui fait globalement son effet. Les Daniels² ont fait preuve d'une bonne emprise des codes cinématographique tout en apportant leur grain de folie, leur sens du timing (pas sur la durée malheureusement) et leur maitrise des FX. Un bon petit délire généreux parfait pour ouvrir un festival strasbourgeois.
Dommage qu'il semble ne pas être destiné à être diffusé massivement en France, hors festivals. C'est un film qui aurait fait du bien à notre cru 2016 un peu lacunaire en OVNI du même acabit... (Tant mieux diront les mauvaises langues).