C’est avec une expérience formelle forte et un scénario d’une complexité réfléchie, quasiment maniaque, que le talentueux réalisateur coréen entame un cycle de l’extrême dans ce qu’il présente comme la Trilogie de la Vengeance,



une étude approfondie des derniers retranchements humains



et de ce qui y cède, peu à peu ou brusquement, pour ramener l’homme à ses sanglants instincts d’animal fier et féroce. Avec l’implacable Sympathy for Mr Vengeance, Chan-Wook Park commence de maniérer minutieusement ses récits, conscient que l’impact de ses sombres histoires sadiques se joue dans la forme autant que dans le rythme, et glisse doucement vers l’exploration des noirceurs les plus viles des dérèglements humains, symptômes violents de l’inadaptation des sociétés aux individus qu’elles entendent encadrer.


Lors d’une exposition calme, douce musique classique, une agréable voix-off féminine nous lit l’histoire d’un homme : c’est l’animatrice du courrier du cœur qui dépose sur les ondes la confession de Ruy, jeune sourd-muet démuni face à la maladie qui emporte sa sœur inexorablement tant qu’il ne peut lui offrir une greffe de rein. Chan-Wook Park pose l’ambiance et les obsessions graphiques de son cinéma : de l’appartement meublé kit de son amie à celui, plus austère et vieillot, qu’il partage avec sa sœur, des rues moites de la ville à la cacophonie de l’usine où il travaille sans casque,



le réalisateur découpe la promiscuité



autour de son personnage, l’enfermant dans un monde régulé et agressif. Dans le premier élan narratif du film, il pose sensiblement les mêmes décors, la même Asie étouffante et désespérée sous le cliquant terni que Wong Kar-Wai dans Chunking Express, chargée de graphisme urbain et industriel.



Un quotidien cru, sans distance, à même les corps et leurs spasmes, hypnotique.



Et dans le détail, l’auteur s’attache au moindre accessoire, au moindre objet du récit, pour doucement préparer, derrière le banal fait divers qui se déroule, fatalité des mauvais choix et conséquences macabres, le cœur de son sujet : la bestialité brute de la vengeance.
Irréfléchie. Spontanée et irrépressible.
Inexorable.


Après une heure convenue d’un difficile apprentissage du monde pour le jeune sourd-muet et son patron, drames barbares dans les dérivés hors-la-loi du capitalisme sauvage, le film se noue en deux séquences et plonge,



descente cauchemardesque,



dans les tréfonds insoupçonnés de la bête tapie sous la peau, au cœur. Chan-Wook Park découpe Sympathy for Mr Vengeance façon Stanley Kubrick, Full Metal Jacket : longue mise en place, forme classique et relativement distante, indispensable autant à l’établissement de l’ambiance générale et à la présentation complète des personnages qu’à la complexe maille du récit, afin de mieux développer la violence en jeu, de coller



au plus près des hommes qui déraillent.



Avec deux vengeances qui se pourchassent, le scénario garde le suspense latent jusqu’au bout, malicieusement, et autorise l’auteur à décortiquer les moindres soubresauts de la peur, de la haine, de la folie et de la rage. De tout ce qui compose l’essence inavouable et vaine de la vengeance.


Cadres précis, équilibrés, mouvements lents, au lugubre rythme de la perte d’humanité, lumière naturelle pour des extérieurs qui soulignent constamment la désolation intérieure des personnages, bande-son maniérée et minutieuse, longs silences, Sympathy for Mr Vengeance développe



une poésie morbide de l’absurdité de la condition humaine



quand dans le drame, sa nature animale le rattrape et le submerge irrémédiablement.


Chan-Wook Park signe là une ouverture impressionnante à sa Trilogie de la Vengeance. C’est avec un film impeccable, tendu de la première séquence au dénouement, d’abord un peu instable, jouant légèrement de l’incertitude, avant de s’aiguiser petit à petit, mauvais choix après circonstance défavorable, accident après perte de contrôle, que l’auteur livre deux descentes aux enfers parallèles, chacune chargée de fatalité autant que d’erreurs d’appréciations. Antagonistes et complémentaires, deux fins de parcours abruptes et incontrôlées,



bestiales résistance à l’horreur insupportable de la vie,



dans lesquelles le réalisateur ausculte méthodiquement, avec la patience de lents tableaux cinématographiques classiques, les violentes dérives de la mécanique qui lâche, le dérèglement soudain et animal des corps, machines mues de rage quand la conscience s’absente, s’évapore… étreinte de trop de douleurs.

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