L'annonce d'un Trainspotting 2 plus de 20 ans après la sortie de l'OFNI générationnel que fut le premier à l'époque, avait de quoi sérieusement inquiéter les fans hardcore (dont je fais partie) de la première heure de la bande de potes écossais... Si on aurait pu être hyper enthousiastes à cette idée 2, 3, ou même 4 ans après le film coup de poing dans la gueule, à la fois vomitif et jubilatoire, de l'ami Boyle, sa pertinence après quasiment une génération était loin d'être évidente, et j'ai ressenti une assez forte angoisse devant la perspective d'une suite si éloignée dans le temps qu'elle risquait fortement de dénaturer la fabuleuse aura d'une de mes oeuvres cinématographiques culte! Et ce terrible risque était pris pour quoi d'abord? Pour faire du fric facile en faisant un copier-coller du premier? Qu'est-ce qu'il pouvait donc y avoir de vraiment intéressant à raconter sur Renton, Sick Boy, Begbie, Spud et Diane si longtemps après, et surtout qu'est-ce qui pourrait légitimement réunir ces personnages dont la séparation à la fin de leurs premières aventures semblait sans retour possible???


Les images de la bande-annonce m'ayant cependant un peu chauffé, c'est donc avec un mélange d'excitation et d'appréhension que je suis allé voir ce "T2" en salle... Après quelques minutes de film, ce sont des émotions contradictoires qui se percutaient en mon for intérieur. Si le style visuel et sonore de Danny Boyle était présent et plus vitaminé et acide que jamais, une sorte de malaise refusait de me quitter car j'avais l'impression d'assister à un essai laborieux pour créer une mayonnaise qui ne prenait jamais vraiment. Les séquences se succédaient dans lesquelles l'ambiance se mettait à frémir, annonçant un retour du ton, de la verve, de la rythmique génialement furieuse de "Trainspotting", mais ces moments fugitifs étaient systématiquement cassés par un retour à une réalité triste, sombre, désabusée. A l'image de ses personnages, "l'univers Trainspotting" semblait fatigué, usé même, cassé, incapable de retrouver sa flamboyance d'antan tout comme la complicité de ses protagonistes, impossible à faire renaître pour de bon... Trop de temps passé, trop de fantasmes basés sur une nostalgie malsaine, trop de distance entre d'anciens amis, un gouffre impossible à combler même en essayant de forcer un peu les choses?


Mais "T2" est finalement une suite d'une intelligence et d'une maturité rares, qui ne se découvrent vraiment qu'avec le temps. Plus le film avance, plus l'histoire se déroule, ponctués par ces "douches écossaises" de la réalisation, et plus le véritable propos de Danny Boyle se précise pour devenir enfin évident : ce jeu du teasing et de la frustration est d'une terrible pertinence car il reflète l'état d'esprit profond d'un Rents qui n'est plus à présent que Mark Renton, quarantenaire dépassé par son époque et la vie rangée qu'il s'est construite après avoir abandonné ses potes en embarquant le sac de pognon une vingtaine d'années plus tôt. Les rêves du jeune homme enthousiaste prêt à croquer la vie à pleines dents, qui avait réchappé par miracle aux turpitudes de son existence de junkie, ont fini par se révéler creux et éphémères, et les angoisses de sa crise de la quarantaine ont donné naissance en lui au monstre de la nostalgie et de la culpabilité. Serait-il possible pour lui de racheter sa trahison et de faire revivre l'excitation du bon vieux temps avec ses bons vieux potes, pour se sentir enfin vivre de nouveau? Il veut, il doit y croire à tout prix, parce que sinon, que lui reste-t-il? La médiocrité d'une vie banale et sans surprises? Autant tout foutre en l'air, quitte à risquer de ne pas si bien s'en tirer cette fois-ci!


Evidemment, Mark n'est pas le seul sur qui le temps a fait son oeuvre. L'exemple le plus saisissant est celui de Francis Begbie, l'ami psychopathe de la bande, qui après de longues années passées en prison, a perdu toute sa flamboyance des 90's, mais rien de sa rage contre le monde, attisée davantage encore, si une telle chose était possible, par le sentiment que sa vie a été foutue en l'air par la trahison de son ami d'enfance parti avec le pognon, n'a disparu! Il en va de même pour un Sick Boy qui n'est plus que Simon, et dont le flegme et le brillant cynisme d'antan, si amusants, ont laissé place à la médiocrité et au sordide d'un maître-chanteur minable et beauf. Il a bien encore un élément un peu excitant dans sa vie, en la présence de Véronika, une jeune prostituée venue des pays de l'Est, mais qui ne semble graviter autour de lui que grâce à l'espoir ténu qu'une de leurs combines finira par leur permettre de se construire une existence un peu plus confortable... Enfin, l'hilarant Spud du premier épisode est la figure la plus tragique de ce "T2", toujours et plus que jamais junkie, incapable de faire quoi que ce soit d'autre de sa vie que de la gâcher tout comme celle de son ex et d'un gosse qu'il n'a même plus le droit de voir, et qui est rongé par de terribles pulsions suicidaires qui semblent lui promettre une fin à son supplice et surtout à celui de ses proches.


Il y a donc pas mal de tristesse dans cette suite, beaucoup plus que ce à quoi je m'attendais au départ! Mais fort heureusement, c'est loin, très loin même d'être le seul ingrédient du nouveau cocktail d'émotions que nous propose Danny Boyle, et une fois le propos bien posé, il révèle des trésors d'humour, d'auto-dérision, d'une nostalgie qui n'est finalement pas mortifère car elle pose un regard lucide sur elle-même, comme finissent par le faire également des personnages pour lesquels on finit par éprouver une tendresse bien plus profonde que dans "Trainspotting" lorsque leurs coeurs et leurs véritables émotions finissent par se révéler. Et la mayonnaise prend bel et bien en fin de compte, meilleure en fait que ce qu'on imaginait car préparée avec un soin tout particulier, un très savant dosage de ses ingrédients pour en révéler toutes les saveurs! On rit donc beaucoup, on profite de la virtuosité visuelle à laquelle Boyle nous avait déjà habitués tout au long de sa filmographie, on apprécie les clins d'oeil au premier opus, tant ceux qui sont ouvertement, ostensiblement évidents, et qui font resurgir de vieilles émotions, que ceux plus subtils, revisitant grâce à un cadrage, à un mouvement de caméra, à un accessoire, les moments clés du passé glorieux. On se régale d'une bande originale aussi excellemment assemblée que la première, et qui relève des moments qui deviendront aussi iconiques que leurs aînés.


Et puis on est de plus en plus séduit par les confrontations et les interactions des protagonistes, et notamment par une séquence génialissime dont je ne dévoilerai ici que le fait qu'elle débute dans les toilettes d'une boîte de nuit pour se terminer dans une rue bien connue, et au cours de laquelle on aura un peu tremblé mais surtout ri à gorge déployée! On se marre aussi carrément dans une séquence totalement inattendue se déroulant dans un pub loyaliste, et on se prend à croire à nouveau un peu aux rêves de nos losers magnifiques.


On est surtout profondément marqué par la trajectoire et la transformation d'un Spud qui devient le véritable chantre, l'oracle, le sage de cette bande d'ex-potes. Ewen Bremner livre ici une interprétation de très haute volée, non seulement bouleversante, mais donnant à son personnage un relief inattendu et une dimension presque christique. Le véritable héros de "T2", c'est lui! Tel un choryphée des tragédies grecques, il est celui qui voit et comprend vraiment chacun de ses compagnons et leurs parcours, et il est aussi celui qui prévoit l'inéluctable issue de ce revival voué à se terminer en catastrophe, et peut-être même est-il le seul à pouvoir y changer quelque chose, ou du moins à pouvoir en tirer quelque chose de positif, à faire que de cette désastreuse aventure ressorte un peu de bien.


Après être allé voir "T2" en salle à deux reprises, j'éprouve pour ce film une grande affection, et même si je ne l'aime pas tout-à-fait autant que "Trainspotting", auquel il ressemble en définitive assez peu, j'estime qu'il est un film plus intelligent et plus mature que son aîné. Le seul gros reproche que j'ai à lui faire, c'est un traitement expéditif et insuffisant du personnage de Diane que j'aurais voulu voir bien plus impliquée dans l'histoire. Mis à part ce défaut, il est à mon sens une réussite complète justement parce qu'il n'essaye pas de rééditer le coup de génie furieux du premier, mais parce qu'il assume au contraire une identité propre et un traitement de ses personnages vraiment poussé et pertinent. Ajoutez à cela une excellent bande son ainsi que le sens de l'image et du montage de Danny Boyle, et vous obtenez un très, très bon film qui aura à sa sortie en vidéo une place plus que méritée aux côtés de l'autre sur vos étagères!

CharlesLasry
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le 22 mars 2017

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Charles Lasry

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