Nous sommes en 2009. Ben Stiller, content de sa blague, nous balançait l'explosif Tonnerre sous les tropiques en salles. Récit d'un tournage où des stars capricieuses ne réalisent pas qu'elles sont vraiment en danger, le film riait du film de guerre hollywoodien comme de ses figures imposées. Le réalisateur, également tête d'affiche, s'y donnait le rôle d'un comédien poursuivi par un mauvais choix de carrière : Simple Jack, mélodrame fictif sur un déficient mental qui repoussait les frontières de la caricature. Dans un dialogue avec le personnage de Robert Downey Jr. (grimé en Noir pour l'occasion), ce dernier lui donnera un conseil : "Never go full retard". L'attardé complet, ça marche pas. Joue un débilos, et c'est le bide assuré.
Avec dix ans d'avance, Patrick Sébastien offrait sans le savoir un ancêtre à Simple Jack. Ou plutôt un lointain cousin des Midi-Pyrénées. D'après ce qu'on en voit dans Tonnerre sous les tropiques, Simple Jack est un film familial, appuyant au maximum la débilité de son héros mais restant dans les marques inoffensives d'un épisode de Corky, un adolescent pas comme les autres. Fatigué de faire tourner les serviettes, Patrick a voulu faire péter les mouchoirs. Investi, il écrit, réalise et interprète T'aime, drame où un jeune-homme, Zef, est quasi incapable de dire autre chose que "T'aime !". Pris de passion pour une jeune-fille, il la viole par mégarde après avoir vu une proche en plein coït dans une cave, fessées à l'appui. "C'est ça, l'amour !", se dit notre héros. Pas forcément, mais la chance sourit aux audacieux. Il finit par passer à l'acte, non sans contraindre l'élue de son coeur. Le père de la victime, qui gagne bien sa vie et qui a une coupe dégueulasse, entrera en conflit avec le personnage joué par Patrick Sébastien, infirmier au grand coeur qui a une coupe dégueulasse. Chargé du rétablissement de la jeune-fille, il aura une idée un peu spéciale pour la guérir de son traumatisme...
Ne pas rire en apprenant l'existence de T'aime, en lisant son pitch et en voyant son affiche, c'est difficile. Pourtant, s'il est drôle à mourir, le long-métrage n'est pas réellement un nanar. Il est perché bien plus haut. D'une sincérité absolue, T'aime est créatif, audacieux. Il part dans tous les sens avec une abnégation rare. Vous y trouverez des mouvements de grue, des cadres dont la composition symétrique n'est pas le fait du hasard, des gros plans de bouches hurlantes qu'on croirait sorties de chez Grandrieux, des élans de lyrisme... T'aime est une autre dimension. En résumer la folie, ça revient à apporter un peu d'ordre à un film dada. Pourtant, il y a un petit coeur qui bat dans ce film dédié au fils de Patrick Sébastien, mort dans un accident de moto à l'âge de 19 ans. Les meilleures intentions ne font pas les meilleurs films, comme dirait l'autre.
Mais de toutes les excentricités de T'aime, il y a un élément particulièrement irrésistible : l'asile où notre héros se retrouve enfermé après son crime. "Je suis fasciné par cet univers. Quand j'ai perdu mon fils, j'ai bien failli tourner dingue. C'est pas sûr que tous les fous soient à l'asile et que tous les internés soient fous (...) Je suis allé visiter pas mal de ces endroits. On s'aperçoit que 80% des gens qui sont là y sont par manque d'amour. Je me bats depuis des années pour faire comprendre aux gens, même s'il n'y en a que trois qui m'écoutent et qui comprennent ça, que l'amour est pour moi le remède absolu, le remède à tout. Je pense que l'affiche du film sera un épouvantail avec des oiseaux posés dessus, car c'est ça pour moi l'amour absolu : un épouvantail, c'est fait pour faire partir les oiseaux, et dans mon film les épouvantails attirent les oiseaux". (1)
Ok pour la note d'intention mais l'asile de T'aime, on le croirait dirigé par Tex Avery et Max Pécas. Les médecins y sont agressifs, le faciès tendu, jurent comme des charretiers et tapent sur les patients quand le plus zélé n'est pas occupé à les emmerder. Le personnage de Patrick Sébastien, pour traiter la jeune-fille violée, la laisse passer du temps avec son grand naïf de violeur. Une confrontation régulière sous l'oeil attendri et assuré de m'sieur Sébastien, qui prend des poses concernées, clamant qu'il fait ça "au nom de l'amour absolu". Il le répète plusieurs fois, si possible en gros plan, toujours avec sa coupe dégueulasse. Il s'est donné le rôle du sauveur, du bienfaiteur incompris, celui qui apportera la lumière aux brebis égarées. "T'aime ! T'aime !", dit à qui veut l'entendre notre neuneu en chef, avant d'entamer avec sa victime une improbable idylle. Preuve qu'ils s'aiment d'amour, vous les verrez d'ailleurs dans une version tartine de la scène des spaghettis dans La Belle et le clochard.
Défiant les critères de jugement habituel, T'aime n'a aucune mesure des effets à produire sur le public. Réclamant du tact, le thème du handicap mental vire à la bouffonnerie. Mais pas au cynisme. Devant comme derrière la caméra, Patrick Sébastien assume son message d'amour absolu. Le dernier acte, grand n'importe quoi à ciel ouvert, jouera même la carte du tragique, et se passera d'épilogue. Comme pour se quitter sur un sommet d'émotion. Un film en roue libre mais réellement pensé en termes de mise en scène, et donc impossible à déconseiller pour qui aime les chemins de traverse. Vous y croiserez également une Annie Girardot totalement ailleurs et, cerise sur le gâteau, la chanson éponyme de Patrick Fiori.
Sorti le 26 Avril 2000, T'aime continua d'illuminer le millénaire naissant via une VHS désormais difficile à trouver. Brièvement sorti en DVD ensuite, le site officiel de Patrick n'en propose pas le moindre exemplaire aujourd'hui, et ne donne aucune info sur ce trésor. Ceux qui ont eu chaud dans l'affaire, ce sont les habitants de Brive-la-Gaillarde, petite ville de Corrèze dont Patrick Sébastien est natif. Il aurait très bien pu tourner T'aime dans un village alentour. Voilà dix ans qu'un excellent festival de moyen-métrage a lieu à Brive. Bien qu'il dépasse ce format, il faudra un jour que T'aime y soit présent en séance spéciale : un film aussi "autre" signé par une célébrité locale, on appelle ça un patrimoine inestimable !
(1) http://youtu.be/xpdocRpWakI
[Article initialement paru au sein de la web revue L'Infini détail]