Take Shelter endosse tout d'abord une coquille assez déplaisante. Profilé pour être le roi du fim indé américain de l'année : pas d'hystérie, un étalonnage super classe, des personnages taiseux, un montage sous Tranxène et une bande son qui te titille le boyau à coup d'infrabasses...
Le film va suivre son rythme monotone et monocorde sans heurter le spectateur (chaque perturbation, scène de conflit ou d'angoisse est bien balisée à l'avance et ne surprend jamais vraiment, ceci jusqu'aux deux twists gentillets qui n'en sont plus réellement.
Michael Shannon est toujours exemplaire, mais du coup il porte en lui les réminiscences d'un film plus détonnant et risqué, dans le même registre, "Bug". Le film de Friedkin manipulait le syndrome de "La Folie à deux" alors que "Take Shelter" n'en fait qu'un Twist incertain final, se permettant ainsi de jouer sur plusieurs tableaux à la manière d'un Einstein du cinéma quantique (le chat dans la boite, il est à la fois mort et vivant ! Voilà, on a la métaphore de la schizophrénie !).
Un peu tiède et fade donc, Take Shelter est le pendant dramatique des comédies gentiment dépressives de Wes Anderson ou des productions surestimées de la mafia Apatow. Un film peu sympathique et un peu poseur donc, mais certainement pas dénué de tout intérêt malgré ses efforts pour éviter toute discordance ; apparemment désormais synonyme de catastrophe....
Le film ne joue donc pas la carte d'accompagner le spectateur dans la perte de contrôle du personnage (idée plus Lovecraftienne) mais décide de nous faire assister, sans la moindre angoisse, à la déperdition d'un personnage somme toute bien écrit. Si on accepte ce postulat, qui rend du coup le film un poil chiant, alors Take Shelter peut dégager toute l'ampleur qu'il contient sourdement.
Le film de Jeff Nichols recèle par exemple d’une qualité d’écriture exemplaire en ce qui concerne l’apparition des personnages secondaires et leur présentation au spectateur à contretemps. Systématiquement les liens entre les protagonistes sont explicités après l’action, ce qui créé un flottement assez fascinant.
Les acteurs, choisis comme dans un film de Shyamalan, incarnent le mieux possible ce qui se joue devant nous et parfois même, le personnage de la petite fille sourde prend autant de poids que l’aveugle de « The Village ».
L'intrigue, et son développement linéaire peut ennuyer mais il y a derrière une abscisse balisée une construction par strates verticales (Shelter / Terrain / Cieux) qui réhausse l'intérêt, un peu comme dans le Moonfleet de F. Lang, et qui sauve la scène de la famille dans la cave.
Tout le fascinant du film est dans la catastrophe qui arrive au personnage, pas tant ses crises d'angoisses que les conséquences qui prennent la forme de nuages bien noirs à l'horizon pour cette famille. Comme le dit le frère : dans ce système économique on n'a pas le droit à l'erreur.
Les frayeurs du personnage constituent un enjeu narratif qui permet de traverser en parallèle la peur eschatologique inconsciente américaine mais aussi tous les points d'ancrages de la société qui sont incapables de stabiliser ses malades (la mère du héros a été recluse elle-même dans un shelter). Concrètement le fou s'appauvri, le banquier fait signer des hypothèques, l'employeur ne fait pas de suivi social, l'assurance maladie ne soutien pas le chômeur, les vendeurs font leur beurre tranquillement sur le marché de la peur, au final ton meilleur pote te pète la gueule... Et le tout sans que la réalisation ne caricature ou n'accuse qui que ce soit (un peu à la the Wire).
Là où chez Emmerich la catastrophe c'est la jouissance (et permet de recréer un idéal pionnier américain), ici la catastrophe est insidieuse et pénètre jusqu’à la fillette sourde qui n'entend pas les élucubrations de son fou de père (le très bon "Bug" avait encore besoin du verbe). C'est très triste tout ça...
Conclusion de ce film pas très aimable : L'épisode schizophrénique est fatal. Pour toute la famille.