Cure de jouvence involontaire
[Petit avis qui s’appuie sur des séquences clés du film. Si vous ne l’avez pas vu, je pense qu’il serait dommage de se priver des quelques petites surprises qu’il possède, aussi je vous invite à repasser ici une fois que vous aurez vu Taking Off.]
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Suite de scénettes réalistes et authentiques accomplissant l'exploit d'illustrer de façon intemporelle le choc générationnel qui s'invite fatalement au sein d'une famille entre parents et enfants. Ou comment, en changeant discrètement de point de vue, depuis les yeux d'une adolescente éprise de liberté à l’esprit de ses parents retombés en pleine crise d'adolescence, Milos Forman met son aptitude à croquer ses semblables pour remettre en perspective le chemin de vie d'un individu.
Une inversion des rôles amusante et didactique qui tend à dédramatiser la condition adolescente, trop souvent présentée comme une période propice à la perdition, conditionnée par les drogues et un esprit revanchard développé. Dans Taking Off, ce ne sont pas des jeunes en recherche d'identité qui se laissent dépasser par les effets illusoires d'une substance prohibée, mais un groupe d'adultes qui semblent en pleine possession de leur lucidité.
Aussi, la séquence emblématique de Taking Off est certainement cette formation à l’art de tirer sur un joint, assénée par un toxico à la bonne humeur communicative, à des parents sceptiques mais ouverts à l'expérience. Le rite initiatique finit dans les rires et l'explosion des sens; à ce moment là, leur condition de parents s'effacent, ils redeviennent des êtres libres, dépourvus de responsabilités trop dévorantes. Milos Forman inverse définitivement les rôles pendant cette séquence pour la terminer par la résolution, très insolite, de son film : la fille fugueuse, qui a rejoint consciencieusement son lit, surprend ses parents, sous influence cannabique, nus comme des vers, en train de jouer à un strip poker endiablé. Scène profondément comique mais dont le sous texte ne manque pas d’être lourd de sens.
Le sujet délicat de Taking off pouvait vite conduire à la fable moralisatrice. C’est la finesse de Forman de l’éviter, en posant, sur les personnages qu'il met en scène, un regard dépourvu de jugement. Toute âme de Taking off est en perte de repère. Comme si la vie était une constante recherche de soi et que cette assurance que l'on se prête en devenant adulte pouvait rapidement voler en éclat. L'être humain vit dans le doute, celui du sens de sa vie.
D'où cette ultime séquence qui illustre la rencontre entre parents et hypothétique futur gendre, dont les modes de vie semblent opposés. Le petit ami de la fille unique fait pleurer sa mère alors qu'il n'a pas dit un mot. Son look cavalier lui faisant craindre le pire quand à son gagne pain, certainement insuffisant pour dorer le quotidien de son petit ange. Le père, plus ouvert à la discussion (peut être des restes du strip poker sous THC) tente la discussion et se laisse estomaquer par son futur gendre quand ce dernier lui énonce, le plus paisiblement du monde, son salaire annuel de 290 000$ brut. L'ambiance électrique du diner semble alors s'apaiser, Forman finit son film sur un plan des parents en duo musical, souhaitant se rendre sympathique auprès de ce musicien hippie qu'ils avaient, peut-être, jugé un peu trop rapidement. L’occasion pour le cinéaste de mettre en perspective principes moraux et argent, quelques billets pouvant acheter sans aucun délai des réticences non fondées.
Fresque sociale dénuée d’artifice, Taking Off est bercé par une bande son renversante, faite de voix suaves et de guitares sèches. On y sent une recherche d’authenticité constante, qui passe notamment par le casting composé en partie d’acteurs inconnus (unique rôle pour Linnea Heacock et on aperçoit pour la première fois à l’écran Katie Bates) qui permet au propos un peu acide de Forman de se faire une place dans les esprits sans utiliser de forceps.