« I’m ready for my close-up, Mr DeMille ! », nous dicte d’entrée de jeu un protagoniste parmi un groupe de vieillards facétieux. Ils sont quatre. Leur métier ? Cinéastes. Leur pays ? Le Soudan. Leur ambition ? Réhabiliter une salle de cinéma abandonnée en plein Khartoum, capitale dépourvue de tout projecteur. En mettant à l’image ce microcosme de réalisateurs, le documentariste soudanais Suhaib Gasmelbari retrace, sur une durée allant de 2015 à 2018 (et donc avant le putsch du 11 Avril 2019), une ode au cinéma, à ceux qui le font, et au Soudan, où l’industrie cinématographique est exclue depuis 1989.
Forcément, en tant qu’amateur, il est hors de question de dénigrer un documentaire portant sur un tel sujet. « Talking about trees » relate un pays où le cinéma est en ruine : une salle abandonnée, dont l’écran à été retiré, des milliers d’heures de pellicule égarées dans la poussière, ou encore les hauts parleurs de la mosquée interrompant l’animateur d’une projection. « Nous sommes plus intelligents qu’eux, mais moins forts, car nous n’avons pas d’armes », cite par exemple un des quatre protagonistes. Avec ces perspectives Suhaib Gasmelbari relate l’histoire d’un pays autrefois friand de films, et aujourd’hui réduit à consommer le cinéma qu’en vendant des films sous le manteau. D’ailleurs, le quatuor, que nous suivons de long en large, n’est composé que de septua et d’octogénaires, ayant étudié le cinéma en Europe. D’ailleurs, une scène interpelle : celle où l’un d’eux appelle son ancienne fac, à Moscou, afin de leur demander s’ils ont conservé son film d’étude, qu’il a « perdu et auquel il tient beaucoup ». On note d’emblée que le bougre parle méticuleusement bien le Russe, chose rare sur le continent africain, et possible, donc, grâce au cinéma, dont la soif ouvre les perspectives tout en faisant tomber les barrières imposées par les langues !
On y rend donc hommage au septième art, et réellement hommage, car ici, ce dernier est ni plus ni moins que le spectre d’une époque révolue. On ne peut que sourire devant la vision de ces gens découvrant « Les Temps Modernes » de Charlie Chaplin dans une séance à la sauvette, ou réclamant la diffusion d’un « film d’action américain » ou « indien », et bien sur ces quatre hommes, liant solidarité, savoir faire et passion pour aboutir à une issue incertaine. Au travers d’un montage parallèle, Suhaib Gasmelbari incorpore à son documentaire des images issues des fictions tournées par les cinéastes que nous suivons. On retrouve dans leurs films, pourtant relativement vieux, des séquences étonnamment similaires à celles que l’on observe en les voyant se serrer les coudes dans le monde réelle, relatant la misère culturelle, laquelle est heureusement désamorcée par la sincère curiosité des nombreux soudanais rencontrant leur chemin.
Vous l’aurez compris, nous voilà face un film primordial a tout passionné, jouant avec les attraits du cinéma direct pour éveiller les cœurs, les pensées, et les travaux de ses sujets. « Comment ferait les allemands à notre place ?! » s’exclame un cinéaste du quatuor. Une question bien pertinente, à laquelle il est impossible de répondre, en tant que public. Et c’est la raison pour laquelle ce texte s’arrête ici : voyez ce film.
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