Tár bouscule le spectateur, l’indispose, le fascine. Il reste une experience intense dans la lignée de Black Swan, Requiem For A Dream ou encore La Pianiste. Mais il se situe un cran au-dessus.
On serait tenter de classer cette oeuvre dans la catégorie des « véhicules à acteur » tant le film est construit autour de son actrice principale. Mais il est tellement plus que cela.
Certes, la performance de Cate Blanchett est exceptionnelle. Elle campe un personnage iconique secondée par des seconds rôles en retenue mais essentiels pour comprendre le fonctionnement de Lydia Tár avec les autres. Noémie Merlant, Nina Hoss et Sophia Kauer sont excellentes, chacune dans leur rôle respectif bien distinct d’assistante-esclave, de conjointe et de nouveau fantasme-objet.
C’est un film froid, clinique. Tout est si net que cela en devient suspect. Le rythme est lent, le film prend son temps mais le spectateur ne le perd pas.
La réalisation est sobre et néanmoins classieuse. Le changement de statut du personnage principal au fur et à mesure du métrage est représenté habilement par un glissement de l’axe de la caméra qui passe de la contre plongée à hauteur de femme: au sommet de sa gloire, une cheffe d’orchestre au rayonnement international est accusée de harcèlement et aurait provoqué le suicide d’une ancienne élève.
Le film nous décrit ses relations particulières avec les autres, du cercle intime au cercle professionnel. Avec sa conjointe, avec sa fille adoptive, avec ses collègues, avec ses subalternes.
Lorsque l’histoire débute, elle est installée sur son piédestal et toute sa vie va se déliter sous nos yeux.
Son rapport aux autres et au monde fait de soumission/dévotion, son aura, son charisme en font une personne hors du commun, intouchable. Elle fascine autant qu’elle fait peur. Un sentiment de malaise, impalpable au départ, s’installe insidieusement.
Lydia est méticuleuse, trop. Elle a des tocs, plus que la normale. On sent poindre une fragilité, une instabilité à travers son imposante stature.
Le miroir se craquelle et finira par se briser. Les failles s’ouvrant, les épisodes de fébrilité sont de plus en plus fréquents: des cris entendus, le bruit d’un métronome dans la nuit, le son du réfrigérateur. Le travail sur le son est à ce point de vue exceptionnel.
C’est ainsi que le chaos arrive. La chute est douce mais inexorable.
Ce n’est pas un rise and fall comme on a l’habitude d’en voir. Il n’y a pas ici d’évènement ou d’élément déclencheur qui fait basculer le récit. La chute est programmée dès le commencement du film.
A part l’appartement qui est son refuge et où elle s’autorise à être un peu elle-même, elle joue un rôle, son rôle. Dans sa maison, à l’école de sa fille, à l’opéra. Tout est sous contrôle à part son craquage juste avant l’épilogue.
Le film est également intéressant pour le questionnement qu’il propose. Il n’y a pas de morale à la fin. Le film reste dans une zone grise. Le personnage est au-delà du bien et du mal et continue sa vie (même si elle a changé). Elle vit sa déchéance.
Mais, est-elle bonne ou mauvaise ? Doit-on faire la part entre le personnage et son oeuvre ?
Le malaise subsiste longtemps après la projection et le questionnement se prolonge et mûrit.