Dans le Royaume de Prydain, le jeune Taram s’ennuie. Garçon de ferme, il aimerait partir à la guerre plutôt que de s’occuper sans cesse de son cochon Tirelire. Mais un jour, son maître, le vieux Dalbenn, lui apprend que Tirelire n’est pas un cochon ordinaire : il a des visions de l’avenir proche. Quand Dalbenn découvre dans une de ces visions que le Seigneur des Ténèbres recherche Tirelire afin que ses visions lui fassent découvrir l’emplacement d’un artefact maléfique qui lui donnera une puissance considérable, le Chaudron Magique, le vieil homme charge Taram d’emmener Tirelire loin d’ici. Seulement, en chemin, le cochon se fait enlever par les sbires du Seigneur des Ténèbres. Taram n’a plus d’autres choix que d’aller dans la gueule du loup, et de tout faire pour entraver son adversaire dans ses sinistres projets…
Film d’animation Disney le plus cher jamais réalisé jusqu’à 1985, Taram et le chaudron magique est tristement connu pour être un des plus gros échecs commerciaux du studio, ses recettes (25 millions de $) remboursant à peine plus de la moitié d’un budget s’élevant à 44 millions. On peine toutefois à comprendre cette si mauvaise réputation quand on regarde le film.
Témoignant d’une noirceur extrême, le film de Ted Berman et Richard Rich en a beaucoup pâti auprès de son jeune public. Ce reproche ne tient toutefois pas vraiment, quand on le compare aux autres films du studio, celui-ci ne faisant finalement que renouer avec la tradition de Blanche-Neige et les sept nains (qui n’a jamais été traumatisé par la scène de transformation de la sorcière, enfant ?) de Pinocchio ou de Fantasia, en tous cas, en l’état actuel, la plupart des scènes coupées n’ayant pas été publiées à ce jour. Il est vrai qu’au niveau de l’ambiance générale, les réalisateurs des Rox et Rouky n’y vont pas de main morte, et c’est avec un vrai plaisir que le spectateur adulte découvrira un film d’animation d’une étonnante maturité, dont l’atmosphère ne peut que lui évoquer une sorte de Seigneur des Anneaux avant l’heure. Des décors, aussi sombres que somptueux, se dégage une fascinante atmosphère de mort, proche des scènes dans le royaume de Maléfique dans La Belle au bois dormant. Il faut dire que le Seigneur des Ténèbres, opposant mémorable s’il en est, se hisse sans problèmes au niveau de la méchante emblématique de Disney par son design et son excellente mise en scène.
Mais tous les personnages s’avèrent très réussis, tant les caractères de chacun sont soignés et intelligemment ébauchés : si l’intrépide Eloïse pourra paraître unilatérale tandis que le barde Ritournelle semble n’être là que pour faire rire, ils apportent tous deux une fraîcheur bienvenue au récit. Mais c'est le jeune Taram qui convainc le plus, s’avérant, lui, étonnamment travaillé, n’étant pas le jeune héros parfait que l’on trouve habituellement dans les contes de fées. Jeune premier courageux, Taram se montre toutefois également un garçon inconscient, fier de sa personne et qui ne réfléchit pas toujours à la portée de ses actes. Dès lors, on voit s’instaurer une véritable évolution du personnage, qui culmine dans le dilemme final qui l’anime,
entre perdre l’épée qui fait de lui le héros qu’il a toujours rêvé d’être et ressusciter son ami.
L’autre grande réussite du film est bien évidemment Gurki (doublé par l'immense Roger Carel, qui nous offre une savoureuse double prestation dans le 1er doublage du film, puisqu'il est également la voix de l'amusant Crapaud), dont le rôle apparent de pur sidekick se trouve rapidement tempéré par sa recherche d’amis et sa lâcheté consciente qui en font un personnage torturé et véritablement profond, et qui trouve son aboutissement dans
le magnifique sacrifice auquel il consent pour essayer de sauver ceux qu’il voudrait voir devenir ses amis.
Sur ces personnages très intéressants s’appuie un scénario intelligent qui, malgré un certain manque de contextualisation (l’aventure commence sans que jamais le royaume de Prydain ne nous soit présenté ce qui, sans être essentiel, aurait pu être souhaitable), parvient à installer de vrais enjeux et à mener des péripéties constamment captivantes, qui respectent scrupuleusement toutes les étapes du voyage du héros (selon la définition qu'en fit Joseph Campbell), et qui caractérisent tous les grands récits mythologiques et les contes de fées traditionnels. En cela, Taram et le chaudron magique s’avère d’un classicisme qui fait plaisir, magnifié par une animation comme toujours parfaite, et même ici novatrice, puisqu’elle marque la première utilisation de l’ordinateur dans le processus d’animation, avant que cette pratique se multiplie dans la décennie qui viendra.
En outre, pour donner corps de manière crédible à leur ambitieux récit qui cherche à condenser en 1h20 des éléments issus des cinq romans écrits par Lloyd Alexander, les animateurs savent créer de nombreux détails inventifs et originaux, tant dans la poésie (enchanteresse scènes des elfes) que dans l’humour (Crapaud qui se punit lui-même pour échapper au châtiment de son maître, la harpe qui discerne les mensonges) et dans la noirceur (terrifiante scène de la résurrection des squelettes). Si on ajoute à cela une partition parfaite en tous points d’Elmer Bernstein aux thèmes mémorables et spectaculaires, on a là un Disney tout-à-fait honorable, quelque peu incomplet mais qui tient parfaitement la route, loin de ce qu’une triste réputation en a fait. On notera d’ailleurs – fait plutôt rare – que les défenseurs de cette pépite mésestimée des studios Disney comptent un allié de choix dans leur camp : Lloyd Alexander lui-même. C'est toujours ça de pris.