Taram et le Chaudron magique
6.3
Taram et le Chaudron magique

Long-métrage d'animation de Ted Berman et Richard Rich (1985)

Vous connaissez beaucoup de dessin-animés qui commencent par vous balancer un gars brûlé vif dans un chaudron ? Quand vous êtes gosse c’est une intro qui capte tout de suite votre attention. Pourtant triste destin que celui de Taram et le Chaudron Magique éternel mal aimé du studio aux grandes oreilles. Mais avant d’aller plus en avant commençons par le commencement, c’est quoi Taram et le Chaudron Magique ? Il s’agit du 32ème long-métrage du studio Disney, réalisé par Ted Berman et Richard Rich et adapté des Chroniques de Prydain de Lloyd Chudley Alexander parues entre 1964 et 1970 et s’étalant sur 5 tomes. Le film, sorti en 1985, fut un bide rapportant seulement 21 millions de dollars pour un budget de 30. Mais revenons aux origines du projet.


Les Chroniques de Prydain sont un cycle de fantaisie jeunesse puisant son inspiration dans la mythologie celtique. Les livres narrent l’apprentissage d’un jeune gardien de cochon nommée Taram et de son passage a l’âge adulte. Les romans sont un grand succès au Royaume-Uni et sont toujours en bonne position dans les ventes malgré un succès plus confidentiel en France. Dès 1971 Disney se procure les droits de l’adaptation pour ce qui s’annonce être un projet pharaonique et ambitieux, le film le sera d’ailleurs puisque à sa sortie il sera le film d’animation le plus cher de l’histoire. Le projet a d’ailleurs vu défiler nombre de grands noms parmi lesquels Don Bluth, John Lasseter ou encore Tim Burton. De 1971 à sa sortie en 1985 la production est chaotique, coûteuse et subit de nombreux changements de cap. Prévu à la base comme un projet susceptible de révolutionner le monde de l’animation avec des idées aussi folles qu'une projection holographique des combats d’épée dans la salle de cinéma (abandonnée car trop coûteux) et un format Super Technirama 70 qui n’a plus été utilisé depuis La Belle au Bois Dormant, Taram sera dévoré par son ambition. Le film subira pour ne rien arranger le départ de Don Bluth de Disney, une grève des scénariste en 1982 et un changement de direction en 1984 beaucoup moins favorable au projet. Néanmoins le film est un véritable pont technique entre deux époques puisque il est le dernier à utiliser une caméra multiplane créée pour donner de la profondeur et qui a servi par exemple sur Le Livre de la Jungle, mais aussi le premier à tirer profit d’effet informatique telle que l’Animation Photo Transfer ou le Computer Animation Production System.


Taram marque un tournant dans l’histoire de Disney mais un tournant manqué. Le film, plus sombre et violent, se démarque des productions antérieurs du studio par plusieurs points comme par exemple le fait de n’avoir aucune chanson ou le fait de faire saigner le personnage principal, chose qui n’était jamais arrivée. Le ton plus violent peut s'expliquer par la volonté de cibler un public plus adolescent alors encore marqué par Les Aventuriers de l'Arche Perdue et sa scène finale violente et gore dont le spectre plane sur la fin aussi brutale de Taram. Ce changement de ton est peut-être ce qui peut expliquer l’échec du film victime d’un bouche à oreille assez calamiteux. Mais on peut aussi l’expliquer par le manque de volonté de Disney d’aller jusqu’au bout de son projet audacieux, coupant les ailes du film. Voyant la production traîner et se transformer en gouffre financier, les exécutifs ont décidé par exemple de réduire la durée du film d’une dizaine de minutes. Quand on sait que le film est censé condenser cinq livres en 1h30, 10 minutes ça compte. Cependant, ces coupes ont surtout servi à alléger le plus possible le film ; sans succès puisque celui-ci écopa d’un PG (Parental Guidance).


Au final, le long-métrage sort dans la précipitation, charcuté par une direction souhaitant se débarrasser de ce projet trop envahissant. Au cinéma, le film ne sera pas aidé par une concurrence se composant d’une ressortie de E.T et de Retour vers le Futur. Ainsi le film lors de son premier week-end ne récolta que 4 millions de dollars. En France ce seront 3 millions de personnes qui découvriront le nouveau Disney, un score honorable.


Après cet échec Disney décide de prendre une nouvelle direction et entame peu après ce qu’on appelle son second âge d’or avec la sortie de Basil Détective Privé mais surtout La Petite Sirène, Aladdin ou encore Le Roi Lion. En effet, mortifié par le coûteux échec de Taram mais aussi par le départ de Don Bluth durant la production de Rox et Rouky emmenant avec lui 19 animateurs, le studio était en grande difficulté, à la limite de la fermeture. Mais alors même si Taram reste un film de funeste mémoire pour Disney, petit à petit il semble que le long-métrage surgisse de la fosse où il a été enterré avec une sortie DVD mais aussi une réévaluation de ses qualités. Et des qualités le film n’en manque pas. Tout d’abord la trame, même si elle est simplifiée et amputée, suit le parcours du héros ce qui la rend à la fois classique mais aussi accrocheuse. Nous suivons donc Taram, simple fermier (sans parent, ça reste un Disney faut pas déconner), rêvant d’aventure, qui se retrouve appelé à découvrir le monde extérieur et qui part donc sur les chemins affronter le danger et surmonter des épreuves. Il trouve une arme magique et des compagnons, etc. Vous connaissez le refrain c’est Star Wars (sorti quelques années plus tôt, une des affiches de Taram y fait clairement référence), Harry Potter tout ça. C’est accrocheur et efficace même si un peu plus de développement des personnages n'aurait pas été un luxe. Cependant, ce qui marque vraiment et ce qui a hanté mes jeunes nuits c’est l’univers dépeint dans ce film. C’est sombre, violent, angoissant, bref c’est pas le Disney qu’on connait et ça fait du bien. Un univers de dark fantasy comme on en verra rarement, cette grandiloquence visuelle fait d'ailleurs penser à l'Excalibur de John Boorman sorti 4 ans plus tôt avec cette superposition très tranchée entre le merveilleux de conte de fée très verdoyant et un monde beaucoup plus sombre et violent. L'épée magique y renvoie d'ailleurs très clairement, le cycle arthurien étant une référence pour l'auteur et les réalisateurs.


Une des scènes de cinéma les plus profondément gravées dans ma mémoire de cinéphile est la découverte du Seigneur des Ténèbres. C'est d'abord la musique aussi étrange que grandiose de Elmer Bernstein mêlant orchestration traditionnelle et sons au synthétiseur aux couleurs de SF. Ce mélange qui peut sembler improbable donne une tonalité unique au film ; fantastique et pourvu d'une inquiétante étrangeté provoquée par des sons connus mêlés à d’autres qui n’ont rien à faire là. Le château se découpe dans les ténèbres et la caméra avance lentement, un fondu et l’on voit une sombre porte entrouverte. Petit, cette lente avancée était un calvaire, je savais ce qu’il y avait derrière cette porte et je ne voulais pas y aller. Cependant la caméra avançait inéluctablement. Encore un fondu et le capuchon du Seigneur des Ténèbres se dévoile, de dos, sur un fond rouge sang, puis pas à pas il descend les marches léchées par le brouillard. Chaque pas augmente la claustrophobie du spectateur puis face caméra une main cadavérique, derrière laquelle on devine un visage squelettique, se rapproche accompagnée d’une voix caverneuse qui emplie la pièce. Cette pièce c’est une mer de cadavres où serpente la brume entre les os décrépis de guerriers depuis longtemps trépassés. Cette scène, comme d’autres, m’a à la fois terrifié mais aussi fasciné. On était dans un monde Disney où la mort n’est pas une présence lointaine, ici on baigne dedans et une chanson n’arrange pas les choses. On saigne dans ce monde, on se blesse. Les réalisateurs tirent pleinement parti de l’ambiance et du travail fait sur l’univers. Le film dans ses thématiques reste assez classique traitant du combat du bien contre le mal rappelant Le Seigneur des Anneaux, ayant eu le droit sept ans plus tôt à une adaptation animée de Ralph Bakshi aux parti-pris osés utilisant la rotoscopie. On suit donc Taram de ses rêves d’exploits guerriers à celui de héros humble acceptant de renoncer à la gloire et prêt à se sacrifier. Durant son aventure, Taram passera d'un univers enfantin, loin des tumultes du monde, à la violence et aux ténèbres versant même son premier sang, marquant son début de passage vers l’âge adulte et sa première perte d’enfance. C'est d'ailleurs tout le propos du film qui étrangement ne vous dit pas "vivez vos rêves" mais "méfiez vous de ce que vous rêvez". C'est la récurrence du reflet dans l'intrigue qui est précurseur du danger (les prédictions de Tirelire, les rêves de gloire de Taram, etc.). Taram rêve d'être guerrier comme un enfant et son parcours ne se situe pas dans le fait de savoir comment il y parviendra mais au contraire comment il apprendra à y renoncer et comment il se heurtera à la violence du monde. Taram au final c'est un gosse qui joue à Call of Duty au fin fond de la campagne Normande et qui du jour au lendemain se retrouve propulsé au Moyen-Orient et donc au lieu de devenir un grand guerrier il choisira de retourner à une existence simple, loin du combat. Souvent le film jettera au visage du spectateur la violence et les éléments les plus glauques comme les vouivres ou Le Seigneur des Ténèbres fondant sur la caméra. Par le biais de ces scènes et d'autres comme le réveil de l'armée des morts le film tire clairement vers une ambiance horrifique assez unique dans l'histoire du studio aux grandes oreilles ce qui renforce l'angoisse que l'on a pour Taram qui est, comme le spectateur, plongé brutalement dans ce train fantôme. Alors, Taram seul film d'horreur des studios Disney ?


D’un point de vue graphique, l’image est détaillée et l’utilisation des effets par ordinateur est visible comme lors de l'explosion du château ou encore lorsque l'on voit la boule de lumière de la princesse Eilonwy. Ils se fondent globalement bien avec le reste de l’animation ajoutant encore à cet effet d’étrangeté provoquée par la musique. Un monde fantastique à la lisière entre deux mondes, le conte Disney et une histoire sombre et violente. Cette superposition de dessins et d'images générées par ordinateur me rappelle aussi personnellement le travail de Philippe Druillet sur Salammbo par exemple où s'intègre l'image de synthèse à la BD.


Néanmoins le film souffre d’un manque de finition qui se manifeste par des faux raccords comme le fourreau de l’épée de Taram qui disparaît un coup sur deux. De même tout va beaucoup trop vite et l’histoire semble précipitée ce qui donne au film malgré ses qualités un parfum d’inachevé qui laisse un petit goût amer dans la bouche. Au final j’espère vous avoir convaincu de regarder ou de rejeter un œil à cette sombre et étrange perle oubliée qu’est Taram et le Chaudron Magique véritable charnière de l’empire Disney. Qui plus est, c’est indirectement grâce à ce film que le second âge d’or des studios Disney est arrivé. Ces éléments font de Taram un film étrange au sein de l'histoire du studio, à la fois capital et unique mais aussi oublié et renié. Alors regardez ce film, montrez le à vos gosses, ça les traumatisera peut-être mais des années plus tard ils se diront que ça en valait la peine car ce long-métrage, même inabouti, a ouvert mon esprit à la magie, à la fantasy et au plaisir que peut provoquer un frisson angoissant qui remonte le long de l'échine.

Adrien_Pointel
9
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le 15 juin 2016

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