Après le détour "The Giant Claw", je me permets de m'extraire à nouveau du royaume du nanar pour revenir rapidement dans le droit chemin de "The Black Scorpion" et autres films qui ont, par leurs thématiques et leur technique, marqué définitivement le cinéma de genre, et au delà.
Jack Arnold est l'un des plus grands du film de monstre des années 50, et à mon sens l'empereur absolu du genre, gravant dans ses réalisations des thématiques lourdes et quelque peu engagées qui resteront à jamais la juste et principale obsession des références en la matière.
A l'inverse de réalisateurs comme Eugène Lourié (The Beast from 20,000 Fathoms) ou Edward Ludwig (The Black Scorpion), dont le gros nom et les billets dissimulait les réels magiciens de leurs productions, à savoir ici respectivement Ray Harryhausen et Willis O'Brien, Jack Arnold, accompagné du magicien Clifford Stine, est un "artiste" complet, réalisant, persévérant et perfectionnant l'ensemble de son oeuvre avec son ingéniosité propre, lui permettant de bâtir ses histoires parfois fortement agressives autour d'une créativité parfaitement déversée.
Dans Tarantula, Arnold semble enfin révéler une passion forte pour les araignées tant il met en scène sa créature avec un sens de la perfection culminant à l'amoureuse attention, et une astuce proche du génie, propulsant le film au sommet de tout ce qui se réalisait à l'époque en matière d'effets spéciaux, et gardant aujourd'hui, dans tout le charme désuet qui le caractérise, son impressionnante crédibilité.
Ici, pas de métaphore économique ou de satire politique comme on pouvait en profiter dans l'excellent et très sarcastique "Le Jour ou la Terre s'arrêta" de Robert Wise et même, de manière absolument succulente, dans le très marquant "Them!" de Gordon Douglas, non, les préoccupations de Jack Arnold sont et demeurent tout autres, poursuivant depuis sa magistrale entrée en scène aux côtés de son "Étrange Créature du Lac Noir" des images fortes, rejetons tout chauds du Frankenstein de Mary Shelley, creusant son sillon et l'accentuant avec sa propre technique pour assurer sa continuité dans des angoisses lancinantes et profondes qu'on retrouvera partout dans le genre, de "La Mouche Noire" à "Jurassic Park" en passant par "Alien" : Quand tu joues avec la science et décides de te prendre pour dieu, tu finis tôt ou tard par te manger une mandale dans la gueule.
Dans L'étrange créature, Arnold avouait ses inquiétudes bucoliques dans une fresque écologique bien plus profonde qu'elle ne le laissait paraître, montrant un être traqué et pourchassé jusque dans son sanctuaire encore vierge de toute civilisation, avant de voir d'un oeil livide, incrédule et néanmoins amoureux ces êtres humains tellement géniaux massacrer le paysage à coups de TNT pour la gloire de la science. Ici, il délaisse sa certaine sensibilité poétique pour s'attaquer pleinement au pouvoir génétique, 38 ans avant le film de lézards de Spielberg.
Un savant interprété par le fameux Leo G. Carroll met au point un sérum dans le but altruiste de générer le remède de la faim dans le monde, disproportionnant les animaux de manière improbable. C'est donc au milieu de souris grosses comme des chats et de cochons d'inde tenant du pitbull que le docteur travail à la sueur de son front pour le bien de l'humanité. Mais le sérum injecté sur des humains provoque de graves sévices, amenant difformité et démence. C'est pendant que l'un de ses collègues contaminés s'en prend à lui, entreprenant de démolir le labo, que la tarentule de Leo G. Carroll en profite pour prendre la poudre d'escampette et se barre de part les collines pour tranquillement croître à l'abris du regard de tous.
C'est donc dans une savoureuse ambiance de savant fou afféré sur moultes éprouvettes et tubes à essais que débute ce film fier de ses pairs et gardant cette séduisante atmosphère tout du long.
Jack Arnold est alors prêt à balancer la sauce, et c'est là qu'il dévoile son talent d'illusionniste par l'intégration d'images qui ne sera égalé que par lui même deux ans plus tard avec son adaptation de "L'homme qui rétrécit". La matérialisation de la mandale de Dame Nature éclate bien entendu sous la forme d'une araignée titanesque, marchant voluptueusement de ses huit longs membres velus sur les collines rocheuses et arides, découpant son inquiétante forme sombre et mouvante sur le soleil de plomb, déplaçant son gigantesque corps dans une inexorable ondulation coordonnée vers ses proies pétrifiées, terrée le jour, chassant la nuit, accumulant les disparitions inquiétantes, les pillages dans les enclos fournis en viande fraîche hennissante, allant jusqu'à traquer ses proies dans leur demeure, bien friable face à ce titan de poils, de mandibules et de crocs acérées.
Génie de l'image, Arnold l'est sans aucun doute, utilisant ici, à l'heure du stop-motion et des costumes divers, l'idée de l'incrustation d'images réelles mieux que personne, faisant de son film et de sa désormais célèbre tarentule-actrice, le modèle en la matière, loin devant le très médiocre "Attack of the 50 Foot Woman" et le tout juste acceptable "Earth vs. the Spider", tout deux pourtant sortis trois ans plus tard et souffrant malgré tout d'une technique extrêmement rudimentaire en comparaison. Tarantula joue sur des contrastes forts avec astuce, permettant à la bête de charbon de se découper à la perfection sur le sol sableux de nuit comme de jour, et évitant avec brio le piège récurrent de la transparence délavée des incrustations ratées, restant encore aujourd'hui (et plus que jamais), une oeuvre de référence en la matière.
Jouant sur une thématique simple mais implacable et s'acharnant sur ses obsessions anxiogènes, Arnold livre ici LE film représentatif de l'esprit "monstrueux" du cinéma des années 50 avec un soin trahissant un amour certain pour le genre.
Ça c'est pour une petite illustration : http://fc04.deviantart.net/fs70/f/2012/029/6/2/tarantula_11_by_farzelgaart-d4nz2ce.gif
Et ça c'est pour le titre : ♫ http://www.youtube.com/watch?v=l3Boz0O1SqM ♫