Claqué au sol
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le 16 sept. 2024
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Il faut croire que les thrillers féministes étrangers ont le vent en poupe cette année.
À raison d'ailleurs.
Après le drame indien captivant Santosh de la réalisatrice Sandhya Suri, projeté en juillet dernier, voilà qu'arrive sur nos écrans, seulement quelques mois plus tard, Tatami, un long-métrage israëlo-iranien, lui aussi réalisé par une femme, lui aussi politique, mais avec un rythme bien plus effréné et un point de vue bien plus optimiste.
Je crois que cela faisait depuis l'exceptionnel thriller As Bestas de Rodrigo Sorogoyen (2022) que je n'avais pas visionné au cinéma un long-métrage aussi prenant, avec une telle tension dramatique. ça monte crescendo et on ne quitte jamais notre regard de l'écran. Généralement, c'est très bon signe.
Au contraire du très long mais pas moins excellent Million dollar baby d'Eastwood (2005), dont le but premier consistait essentiellement à produire une plaidoirie en faveur de l'euthanasie, le film de Zar Amir Ebrahimi semble, quant à lui, s'intéresser réellement à la condition des athlètes féminines, ici les sportives iraniennes.
Le dojo dans lequel se joue la compétition, apparaît comme ce lieu de l'oppression pour les sportives, sorte de métaphore de la société iranienne. Impossible pour elles d'en sortir. Le long-métrage est en somme pareil à un huit-clos, car se passant environ les deux-tiers au sein du dojo. Les couleurs sont ternes, à base de noir et de blanc. Les combats sont rudes et fracassants, extrêmement rapides et découpés. Les sportives iraniennes sont toutes constamment surveillées, dans leur moindre faits et gestes. Le Guide suprême de la République islamique iranienne affirme son assujettissement sur celles-ci, aussi bien par le biais d'appels téléphoniques incessants que par l'envoi de diplomates censés surveiller les athlètes féminines dans les gradins du ring. C'est lui qui détient le pouvoir. Il est à la fois omnipotent et omniprésent. On ne le voit jamais, sa présence physique est absente, seule sa voix se fait entendre. C'est une véritable voix acousmatique.
C'est avec impuissance que Maryam, la mentore de Leila, regarde sa disciple se battre seule face à un système tout entier, qui la domine très largement. Ce personnage, tout comme Leila, force l'admiration, il est avant tout humain, car hésitant longuement avant de demander à la judoka de se résigner, car cédant malgré elle au régime pour sauver sa famille (ce que l'on aurait sans doute tous fait). C'est vraiment ce protagoniste-là que j'ai retenu de l'histoire. Globalement, les figures féminines sont toutes très bien écrites.
Malgré la défaite de Leila sur le ring face à la géorgienne, le dénouement de l'oeuvre de la réalisatrice iranienne est loin de sonner comme un aveu d'échec. On reste assez loin du pessimisme ambiant de Santosh. Au contraire, les lumières des projecteurs éclairant la judoka, lors de son entrée sur le ring de la compétition internationale, semble symboliser, à la fin du film, plus que l'affirmation d'une indépendance face au régime, la quête de revanche et la victoire potentielle à venir.
Quelques mots à dire sur les figures masculines de ce film. Celles-ci peuvent à première vue paraître anecdotiques, pourtant, elles sont, étrangement, plutôt bien écrites. C'est pour cela que je le souligne ici. Je pense notamment à ce médecin ô combien tendre et compatissant, qui redonne du baume au cœur à notre héroïne. Je pense aussi à ce mari, du nom de Nader, totalement admiratif envers sa femme, et qui échappe complètement aux diktats de la société iranienne (et aussi à nos modèles de représentation). Ce que critique en réalité le long-métrage de Zar Amir Ebrahimi c'est le système lui-même, celui du patriarcat iranien islamique, l'asservissement par la religion des femmes jusque dans le domaine du sport. Il n'est pas ici question de manichéisme abjecte, d'opposition binaire notamment entre Iran et Israël, ou encore entre homme et femme.
Pour finir, je souhaiterai faire part de quelques petits bémols afin de nuancer tout ça. Rien d'alarmant ceci-dit. D'abord, les combats sur le ring m'ont semblé sur-découpé, voire parfois étonnement mal filmé. Ils apparaissent assez expéditifs. On a dû mal à pleinement ressentir la douleur, malgré les quelques effets de flous, utilisés çà et là, traduisant l'évanouissement et l'épuisement des judokas. Ensuite, je trouve que le film aurait gagné en qualité s'il était moins bavard à certains égards. La séquence du témoignage en OFF dans les dernières minutes est certes poignante, celle-ci étant, qui plus est, ponctuée d'une musique mélancolique, mais elle était très largement dispensable. On avait compris bien avant le message du film, et cela, par le seul biais de la mise en scène. Inutile donc de le rendre intelligible oralement.
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Créée
le 10 sept. 2024
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