La réussite d'une scène d’ouverture au cinéma relève d’une alchimie, d’un dosage particulier. Après tout, il s’agit autant de capter l’attention du spectateur que de condenser l’essence d’un geste artistique, pour attiser, pour révéler sans trop révéler.
Teddy s’ouvre sur une scène plutôt saugrenue : un jeune en marge, passe pour un bouffon devant tout le village.
Tout le village ? Non, mais un échantillon qui se veut représentatif : des aînés aux jeunes de son âge qui, eux, ne semblent pas inadaptés socialement, le décor est planté, le cas social est semé.
Le premier quart d’heure du film promet du décalage, du satirique, de la gentille moquerie des pécores un peu demeurés et de Teddy lui-même, sorte de synthèse de son environnement.
Ce postulat est condensé dans ce que propose la première scène, où toutes les autorités sont tournées en dérision : le maire, l’armée, la police, les adultes. Les institutions, dans ce qu’elles représentent, sont rejetées par le protagoniste.
Au milieu, enfin, plutôt à côté du milieu et au milieu à la fois, un marginal par essence, qui se construit par rapport aux autres, un rebelle en quête de repère, bref, un adolescent.
Antihéroïque au possible, le Teddy éponyme ne se rattache qu’à une seule chose. Une chose universelle, fut un temps où l’on pensait qu’elle maintenait l’univers en place, et qui semble le garder en vie : l’amour.
Bête, vulgaire, seul, mais fidèle et amoureux, Teddy n’est mû que par cet amour qui lui donne de l’espoir, lui permet d’envisager l’avenir, de se projeter.
L’idéal de Teddy est tel que l’amour se rit du mépris de classe, se rit de la différence, l’amour n’est qu’amour et surtout, il est éternel.
Et cet idéal, de se confronter à la réalité du monde.
Une scène exprime particulièrement cette réalité : l'anniversaire où toute sa classe est réunie.
L’illusion et la désillusion se succèdent. L’humiliation n’en est que plus cruelle.
Une scène qui révèle tant de chose tout en faisant écho à la scène d’ouverture. Une bascule qui fait à la fois la synthèse du propos et annonce le pire, qui reste à venir.
Attention, je vais dévoiler ci-dessous toutou party de l'intrigue.
Graou. Vilain chien. Méchant loup.
Il est un contraste flagrant dans le film de Zoran Boukherma et Ludovic Boukherma qui dissimule régulièrement les transformations lycanthropiques, les dévorations dans le hors-champ ou le noir… tout en prenant le temps de montrer les transformations physiques de Teddy, face à son miroir et à lui-même. En jouant sur deux plans opposés mais que les réalisateurs parviennent à complémentariser, arrive à faire naître un esprit, un souffle. Ce souffle, c’est celui de l’humain.
En se faisant plaquer, comme une merde soit dit en passant, Teddy se transforme complètement ; En perdant cet amour et l’espoir qu’il représentait, il se libère enfin, laisse parler la bête qui est en lui, celle qui prend le dessus sur l’humain. Les sens sur la raison. La faim sur tout le reste.
Le monde entier lui en veut, le rejette. Il n’y a finalement que peu de différences entre l’avant incident et l’après : le village veut le tuer, littéralement cette fois-ci.
Plus la bête est dissimulée, plus les signes de sa présence naissante apparaissent évidents. Le parcours de Teddy en ressort grandit, par la mise en évidence de sa souffrance.
En appelant par l’image, la douleur de cet adolescent, la mise en scène révèle la pression sociale qu’il subit. Le massacre final résout ainsi une plaie béante : en tuant sa classe, Teddy dévore la classe qui le domine.