Les rivalités entre gangs d'adolescents au cinéma sont légions. De West Side Story à Jeunesse Sauvage en passant par Outsiders ou encore La Cité De Dieu, s'entretuer pour un bout de trottoir ou un semblant de dignité s'avère être une norme sociétale au sein d'un univers où la loi du plus fort s'impose obstinément.
Réalisé en 1966 par Sande N. Johnsen, le surprenant Teenage Gang Debs décortique un sujet traditionnel en y injectant une vision féminine peu commune pour l'époque. Car souvent reléguées au rang de potiches sexualisées, les adolescentes fréquentant les gangs ont toujours été mises à l'écart par les cinéastes qui ne savaient qu'en faire. Excepté Rita Moreno dans le formidable et iconique rôle d'Anita dans le West Side Story original, les demoiselles n'ont habituellement pas grand-chose à exprimer et obéissent aveuglément à leurs boyfriends en s'éclipsant lorsque ces messieurs s'affrontent. Une vision que le scénariste Hy Cahl a décidé de déconstruire ici en s'inspirant pleinement de Lady McBeth, personnage issu de la célèbre tragédie de William Shakespeare.
Dans Teenage Gang Debs, la lady en question s'appelle Terry et vient d'aménager avec ses parents dans la banlieue de New York, quittant ainsi Manhattan et son environnement ultra violent dont les faits divers s'affichent régulièrement à la une des médias. Son truc, à Terry, c'est le pouvoir. C'est ce qui l'a fait vibrer en tenant tête à ses proches dans un environnement familial lambda et terriblement ennuyeux à son goût. Elle part alors à la rencontre des Rebels, gang local où chaque règle imposée est flegmatiquement structurée. De par son charme et sa perversité manipulatrice, Terry va tout chambouler et métamorphoser le quartier en un véritable champ de bataille où les cadavres vont indéniablement s'amonceler. Néanmoins, les autres jeunes filles du gang, elles, voient cela d'un autre œil et décident de passer à l'action à leur tour…
Viols, tortures et autres duels meurtriers au couteau à cran d'arrêt parsèment ainsi l'existence de ces jeunes sans repère qui ne cherchent pourtant qu'à échapper à leur implacable quotidien lors de formidables séquences festives où jerk et jazz prennent possession de leurs corps endiablés. Si la violence reste cependant omniprésente, Johnsen la transcende lors de longues séquences qui se métamorphosent en une intéressante forme sociologique lorsque l'on découvre le film en 2022. Car ici, le manque de moyen offre au métrage un ton particulier où l'amateurisme de l'intégralité du casting et la dextérité de la réalisation et du montage se lient pour le meilleur, le tout étant clairement inspiré par la mouvance de la Nouvelle Vague française. La caméra à l'épaule, pour des plans filmés à l'arrache dans les rues et cadrant des jeunes motards issus de véritables gangs de l'époque, offre ainsi un cachet très attrayant à un film qui aurait certainement été un ratage intégral entre d'autres mains.
Brunette de petit gabarit et totalement inconnue du grand public, Diane Conti s'avère particulièrement convaincante dans le rôle de Terry, une gamine sadique et avide de pouvoir qui ne cesse de manipuler son monde. Après avoir joué dans 3 films en 1966, elle a totalement disparu des écrans tout en restant indéniablement mémorable dans cet étonnant long-métrage.
Quant au personnage d'Ellie incarnée par Eileen Scott (qui fera ensuite carrière sous le pseudonyme d'Eileen Dietz), arrêtez-vous un instant sur son visage et vous y reconnaitrez sans peine celui du démon Pazuzu dans L'Exorciste de Friedkin.