Tendres passions a été le grand triomphateur des Oscars en 1984 en remportant les 5 statuettes majeures (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleure actrice, meilleur acteur, meilleur scénario), de quoi booster la carrière de James L. Brooks qui réalisait là son premier film, après avoir travaillé longtemps à la télévision et signé des scénarios. A l'époque, j'avais trouvé tout ceci un peu exagéré et j'ai longtemps considéré ce film comme surestimé, trimballant le public dans un romanesque ténu à la limite du larmoyant et qui ne m'avait pas du tout ému, je trouvais tous ces petits aléas de la vie trop beaux pour être honnêtes, en bref trop formatés pour les Oscars justement.
Et puis en le revoyant par hasard récemment, après plus de 35 ans, alors que je n'étais pas parti pour le revoir entièrement (durée de plus de 2h10), je me suis surpris à poser un autre regard sur ce film, et je peux peut-être le réévaluer de façon plus lucide grâce à la maturité que j'ai acquise.
Je me suis aperçu que tout tournait autour d'une femme, Aurora, incarnée à la perfection par une rayonnante Shirley MacLaine qui ne tournait plus guère depuis 1971, sa grande époque se situant dans la décennie 1960 ; à l'âge de 50 ans, elle retrouvait un rôle correspondant à son âge et surtout livrait un formidable portrait de femme. Elle est tout aussi formidablement épaulée par le personnage de Garrett incarné par un Jack Nicholson des grands jours, et il est clair que le film repose en fait sur ces 2 personnages et sur ce couple de stars qui sont supportées par de bons acteurs comme Debra Winger, John Lithgow, Jeff Daniels et Danny De Vito (ce dernier retrouvant Nicholson après Vol au-dessus d'un nid de coucou). Si le film n'avait pas MacLaine et Nicholson, je pense sincèrement que ça ne tiendrait pas, leurs rôles sont merveilleusement écrits.
Aurora est une bourgeoise bostonienne veuve égarée au Texas, elle est maniérée, maniaque, un peu stricte et insupportable, et se désole de voir sa fille épouser un minable et falot petit professeur, tandis que son voisin Garrett est un ancien astronaute certes sympathique mais aux manières grossières et parfois choquantes. Autant dire que tous deux se livrent à de jolies compositions d'acteurs, Nicholson se régale à jouer ce mec sans-gêne et insouciant mais qui cache une sensibilité qui finira par séduire Aurora.
Le film aligne donc une succession de moments fait d'hésitations, d'atermoiements, comme de petits sketches anecdotiques qui s'éparpillent, passant d'un personnage à l'autre, d'une ambiance à une autre pour finir par former un tout assez cohérent dans un certain milieu bourgeois américain contemporain, marqué par le désarroi. Les rapports mère-fille et Aurora-Garrett ne sont qu'un des aspects de cette description riche en détails savoureux et en observations justes, en montrant que la vie est parfois bien compliquée.
Et puis d'un seul coup, le scénario jusqu'alors bon enfant, bascule dans le mélodramatique inattendu avec l'intrusion du tragique ; c'est surtout cet élément intrusif que j'avais en 1984 jugé inutile et incongru, encombrant une histoire déjà suffisamment fournie en petites histoires et petits tracas. Revu aujourd'hui, je l'accepte mieux en me rendant compte que la fatalité fait partie de la vie et qu'elle peut surgir n'importe quand. C'est donc un mélo moderne finement observé et porté par ses acteurs qui mérite une attention particulière et qui saura charmer aussi par son humour léger et sa tendresse feutrée.