En conclusion, Tenet n’est pas le meilleur Nolan, il ne résonnera jamais autant qu’Interstellar dans la culture populaire. Mais il est terriblement nolanien, ce qui explique certainement la polarisation qu’il provoque. Son réalisateur s’est définitivement construit une identité unique et des principes forts (la manipulation du temps, la musique assourdissante, la structure en puzzle). Dans une époque où la classe des réalisateurs bénis oui oui flegmatiques truste inlassablement le box office, où des producteurs imposent leur véto sur base d’études de marché, on peut se réjouir d’avoir un véritable auteur à la tête des plus grands blockbusters.
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« Artificiellement intelligent »
De toutes les critiques qu’on peut faire à Tenet, celle du « inutilement complexe » fait le moins de sens. Quelle tristesse d’annoncer que le film aurait dû être « moins ambitieux ». D’autant que Nolan mérite du crédit après Le Prestige par exemple, ou les analyses ont permis de révéler des couches insoupçonnées. Cette critique ne fait donc aucun sens après un seul visionnage. C’est soit de la paresse intellectuelle (« c’est trop compliqué donc ça sert à rien de chercher à comprendre »), soit vouloir un nivellement par le bas du cinéma.
Dans tous les cas, quand on avance cela avec comme argument phare une seule citation du film (« Ne cherche pas à comprendre, ressens »), c’est la défaite de la critique.
« Tenet est froid, sans émotion »
C’est vrai. Du moins en apparence. La musique est froide, la photographie est glaciale, les personnages sont fermes. On ne sait pas grand chose d’eux (ce qui est très courant dans les films d’espionnage finalement). Mais est-ce vraiment une mauvaise chose de miser plutôt sur son histoire que sur ses personnages, qui ne deviennent que des pions et renforcent le concept du film ? Est-ce que ce n’est pas un choix qu’on peut respecter, même s’il est peu conventionnel ? Enfin, cette froideur ne renforce-t-elle pas encore la dernière scène, qui m’aura personnellement beaucoup atteint ?
J’ai dit en apparence parce qu’une deuxième lecture démontrera une force émotive beaucoup plus ample. La connaissance de la véritable identité de Neil dévoilera toute la fatalité et le sentiment d’impuissance vécue par ce personnage.
Neil est le fils de Katherine, Max. Max est certainement le diminutif de Maximilien (Neil à l’envers). Il ne peut pas entrer en contact avec sa mère pour ne pas changer le cours des choses et ça explique pourquoi il s'enquiert autant de son sort quand elle est blessée.
Avec Tenet, Nolan prouve encore une fois qu’il est l'un des réalisateurs contemporains les plus ambitieux. Son film ne fait aucune concession, applique son concept jusqu’au bout. S’il est trop tôt pour rentrer dans une analyse poussée, son film est construit comme son titre, à la façon d’un palindrome. Le passage dans la machine à inverser constitue le tournant et on vit alors le film à l’envers. Le carré de SATOR est appliqué partout, dans le nom des personnages jusqu’aux lieux de tournage (OPERA = opéra, AREPO = aéroport, ROTAS = autoroute). La délimitation en dix minutes (Ten en anglais évidemment) est plusieurs fois présente. Le concept en lui-même offre des scènes d’action fascinantes dans leur originalité et leur conception.
Le spectacle est ainsi surpuissant, inégalé. Le rythme est irrespirable, le montage infatigable, coupant tout le gras possible. Il est impossible de reprendre sa respiration, noyé sous la tonne d’information et d’action. La bande originale assassine, le sol vrombit, les balles fusent aux oreilles. Ce film est violent de cinéma. Jamais le spectateur en aura autant pour son argent. Tenet est d’une générosité monstrueuse. Le peu de CGI et l’énormité de la production value ravissent les yeux.
Pour commencer, j’ai toujours aimé les films qui me poussent dans mes retranchements, qui me poussent à réfléchir plus loin. J’adore des films comme Looper par exemple, très difficiles à cerner au premier visionnage et dont la complexité peut rebuter ou décourager. J’ai comme théorie d’ailleurs, que ceux qui n’ont pas aimé Tenet, sont aussi ceux qui n’ont pas aimé Looper. Alors quand les premières critiques annonçaient Tenet « artificiellement intellectuel », « inutilement complexe », cela m’inquiétait un peu. Mais, avant tout jugement à chaud, Nolan mérite du crédit, comme l’ont prouvé les analyses tardives du Prestige et d’Interstellar.
(Merci à @Anyore et au Crulic gang pour les meilleures propositions de titre).