« Une image bien précise me hante depuis des années. Littéralement. [...] Vous voyez ce moment du trailer où le personnage de John David tire une balle et où la balle part de son point d’impact pour rentrer dans le canon ? [...] J'y travaille depuis plus de vingt ans. Il apparaît d’ailleurs sous des formes différentes dans plusieurs de mes longs métrages. »
Nolan au magazine Première, N° 509
On retrouve effectivement cette idée dans Memento, où un plan inversé montre la balle tirée par Leonard revenir dans l'arme, mais aussi dans The Dark Knight où Batman réussit à reproduire les conditions d'un tir pour "extraire" la balle et retrouver des empreintes digitales, ou encore dans Le Prestige lors du tour de magie où Christian Bale retire la balle d'un pistolet afin de créer l'illusion qu'il l'attrape alors qu'elle est tirée.
Cette image peut évoquer la volonté de défaire le mal qui a déjà été fait : revenir dans le passé, afin de retirer la balle qui a été tirée et l'empêcher de partir.
Tous les films de Nolan présentent cette idée, sans forcément en passer par l'image de la balle : Dans Insomnia, Will Dormer tente coûte que coûte dans ses souvenirs d'effacer la tâche de sang qui s'est déposée sur sa chemise, dans Inception, Cobb cherche à retirer l'idée qu'il a implantée dans l'esprit de Mal, et dans Interstellar, Cooper veut s'empêcher de quitter sa fille.
Dans Tenet, l'idée de vouloir revenir sur le passé et l'impossibilité de cette tâche est au centre des enjeux ("What's happened happened"). Pour Nolan, cette impossibilité semble permettre de revenir sur ses pas, non pas pour modifier ce qui est déjà arrivé, mais pour lui donner un sens signifiant. C'est très littéral chez Leonard dans Memento qui par cette méthode redonne un sens à sa vie, et pour Cooper qui, dans Interstellar, après avoir compris qu'il ne pourrait s'empêcher de partir, trouve le moyen d'interagir avec le passé pour donner un sens à son voyage. Dans le nouveau film du réalisateur, c'est le personnage de Katherine qui donne un sens à sa douleur en revisitant son traumatisme fondateur.
Tenet est probablement le film le plus ambitieux de son réalisateur : là où la plupart de ses films nous plongent dans une expérience subjective, lui n'hésite pas à cumuler deux points de vue simultanément. Thématiquement, cette ambition découle naturellement vers le libre-arbitre, qui n'est donc plus perçu comme un moyen de laisser libre cours à ses désirs (revenir sur le passé pour le modifier) mais comme moyen d'accéder à ce que Neil appelle simplement "la réalité", soit une acceptation du cours des choses. Et le cinéma comme moyen d'arriver à cette acceptation : "Don't try to understand it. Feel it."