Je vais tenter de réhabiliter Tenet qui n'a pas eu le succès critique escompté à cause de son parti pris de tournicoter entre présent, passé et futur et par là-même d' égarer tout son monde en faisant perdre les repères temporels, ce qui a déchaîné les haters sur les réseaux sociaux.
Il faut pour cela essayer de comprendre le projet de Christopher Nolan ce qui est, il me semble, presque aussi difficile que de faire un retour vers le futur au volant d'une DeLorean aux circuits temporels grillés. Nolan semble s'être évertué durant plus de cinq ans de gestation de son film à relever des défis insurmontables et à créer des nouveaux rouages visant à complexifier toujours plus les mécanismes de la compréhension. Et, comme il le dirait lui-même en mode Tenet : « !Tenet à attaquer nous de avant remarques simples quelques d’abord tout Faisons ».
Parlons brièvement des défauts de Tenet. Le film est beaucoup trop long ! 2H40, soit une bonne demi-heure de trop à mon avis pour un divertissement exigeant. Tenet nous embarque avec les trucs habituels du blockbuster : belles reconstitutions soignées, bagarres, poursuites en voitures, explosions. Certes, avec l’aide des effets spéciaux les situations sont insolites : le Protagoniste se bagarre contre lui-même, c’est à dire contre son « moi inversé » ; les courses-poursuites, inversion du temps oblige, font se croiser des voitures fonçant dans le sens de la marche et d’autres roulant à reculons, comme tata Philomène sur l'autoroute, et les nombreuses explosions finales ont la particularité d’être filmées à l’envers comme avec Adobe After Effects.
Tenet a surtout le défaut d’être incompréhensible pour tout bon esprit cartésien, ce que Nolan confirme non sans manier le paradoxe, lui qui s'efforce de nous expliquer longuement le sens caché de chaque scène à venir:
les gens qui regardent les films pour se divertir et s'amuser les
comprennent bien mieux que les gens qui se battent contre les films,
qui ont l'impression d'être dans une sorte de partie d'échecs avec le
film pendant qu'ils le regardent
autrement dit il n’y a rien à comprendre, c’est juste de l’entertainment bien tartiné. L’acteur principal (?) John David Washington, nommé dans le film sans trop d’effort d’imagination Le Protagoniste a lui-même avoué n’avoir rien compris à ce qu’il faisait. Par ailleurs Nolan n'a pas jugé bon de donner à son personnage la moindre épaisseur émotionnelle. On ne sait rien de lui. Il est le Protagoniste...et c'est tout.
Pire la cohabitation de temporalités contraires, au lieu de provoquer l’admiration pour l'intelligence du scénario et l'audace des mouvements de caméra, provoque à mon sens l’effet contraire de celui qui est recherché : un détachement progressif de l’intérêt pour la suite de l’histoire, et les fils rouges censés éclairer le spectateur style cordon rouge du sac à dos ou balle inversée « ellab » sont invisibles pour le spectateur lambda, alors que les mots plusieurs fois utilisés d'algorithmes, hypocentre, plutonium 241 donnent seulement l'impression que le film se prend trop au sérieux.
Au final on a l'impression d’avoir dans ce Tenet une réécriture de Memento pour l’ordre chronologique inversé et d’ Inception pour la complexité, combinés avec un mélange de thermodynamique et d'électrodynamique quantique comme alibi scientifique.
Passons maintenant à la tentative de réhabilitation évoquée au début. Tout semble conçu, pesé, pensé pour les spectateurs de moins de 30 ans aimant la seule virtuosité intellectuelle, adeptes de la multi-projection, ceux pour qui la satisfaction augmente à la mesure de leur compréhension du puzzle après la seconde lecture, et qui savourent encore plus après la vingtième lecture. Ce mécanisme de puzzle quasi impossible à assembler puis défait une fois assemblé avant d'être réassemblé avait été mis à l'honneur par Georges Pérec dans La Vie Mode d'Emploi et était une de ses propositions de subterfuge pour donner un sens à sa vie. N'étant pas un fan des puzzles, j'ai dû me contenter de m'accrocher à une unique vision et j'ai essayé de faire ma propre synthèse en finissant par lâcher prise en cours de film devant la difficulté. Ce qui pourrait donner ceci : Telle Sarah Connor dans Terminator, Kat veut sauver la vie de son fils Max, lequel n’est autre que Niels réincarné dans le futur. Pour cela elle est contrainte de tuer son méchant mari russe Sator. Le sacrifice final de Niels (dans sa version inversée) dans le présent va sauver la vie du Protagoniste 3.0 dans le futur afin qu'il puisse sauver le monde de la catastrophe climato-nucléaire programmée. Et là je m’aperçois mais un peu tard que je n'avais aucune chance de réhabiliter un film qui n'était pas fait pour moi, car, contrairement à ce qu'a voulu prouver Christopher Nolan, à l’impossible nul n’est Tenet.