Cette critique comporte des spoilers.
Que dire. Tout le monde est au courant : le temps dans la filmographie de Nolan est le thème central. Toujours traité avec ingéniosité sous plusieurs de ses manifestations, le temps nous questionne. Memento, Le Prestige, Interstellar : trois manières différentes de traiter le temps en le plaçant en protagoniste masqué.
Ici, bienvenue dans le monde de Tenet, où Nolan n'a pas peur d'attaquer le temps de manière frontale en réinventant le principe du voyage dans le temps. Mais est-ce réellement une réinvention ? On nous parle du fameux "paradoxe du grand-père" ou de l'enchevêtrement temporel, mais est-ce vraiment nouveau quand on repense à Harry Potter et le Prisonnier d'Askaban ou Retour vers le futur ?
D'accord, je suis un peu mauvaise langue. Cette idée des tourniquets et des timelines inversées est très sympathique. Même visuellement, c'est beau, quoique parfois un peu brouillon. La dernière partie du film est un chaos visuel digne de la baston d'Avengers Endgame, CGI en moins. Techniquement, ça reste très impressionnant, et y'a peu d'autres réalisateurs qui peuvent pondre un truc comme ça (surtout qu'apparemment y'a moins de 300 plans qui ont été fait avec effets spéciaux, ça claque).
Dans sa structure narrative, Tenet - ironiquement - ne prend parfois pas assez son temps. D'emblée, ça sort le grand jeu : ça pète dans tous les sens. On comprend pas tout, mais c'est pas grave : on tente de rentrer dedans. Et puis...le premier tiers du film est extrêmement rapide : voyage dans le monde à vitesse grand V sans prendre le temps de se poser cinq minutes, la base de l'histoire entre les personnages de John David Washington et de Elisabeth Debicki est expédiée en un dialogue mal monté (ce champ contre-champ qui donne mal à la tête, damn). Et c'est bien dommage, puisque tout l'enjeu du film est in fine centré sur leur relation.
Les personnages secondaires sont ultra anecdotiques : ce n'est pas le film de Nolan qui s'ajoutera aux grandes performances récentes de Robert Pattinson, et ce n'est pas lui non plus qui donne beaucoup de place au grand Michael Caine.
On assiste alors à une histoire à l'enjeu bancal - oui d'accord, la fin du monde, blablabla - qui va parfois trop vite, ou alors trop lentement durant le deuxième tiers. Franchement, qui s'est impliqué dans l'histoire de Katherine ? Au-delà de ça, qui a éprouvé un peu d'attachement à un quelconque personnage ? Franchement, le nombre de fois où elle répète qu'elle veut sauver son gosse, ça en devient ridicule.
C'est là le point faible de Tenet. Le long-métrage est froid, exit les émotions et place au show et aux inversions temporelles. Mais même de ce côté-là, ça rate. On retrouve l'idée des missions dangereuses ultra tendues type braquages (scène dans le Free Port à Oslo) mais...cela reste fade. Après Inception et la tension de dingue dans les rêves emboîtés, qu'ajoute réellement Tenet ?
D'ailleurs attendez, comment il s'appelle le film déjà ? Ah oui, ce fameux mot-clef qui a bien servi la communication du film et qui n'est utilisé que dans les trente premières minutes pour disparaître complètement. Pourtant Chris, on a compris l'idée de Tenet, ce palindrome annonçant l'inversion de la flèche du temps à volonté, et issu du carré de Sator dont Nolan s'est pleinement inspiré. Il est où le mystère entourant ce mot dans le film ?
En parlant de communication, tout portait à croire que personne n'allait rien comprendre. Nolan le dit dès le début du film : "N'essayez pas de comprendre". Le problème est là : si on essaie de comprendre...et bien, on comprend très bien. Du moins le principal, le reste étant noyé dans un montage dopé et dans un lexique voulu compliqué. On a l'impression que Christopher Nolan est arrivé à un niveau d'ego lui permettant d'affirmer qu'il est le réalisateur intelligent dont on ne comprend pas les films. C'est dommage.
Bref. Tenet c'est un peu l'enfumage. Y'a de très bonnes idées - encore une fois, très séduit par l'idée du tourniquet - mais le cadre du film est trop pauvre, la narration ennuyante et le casting peu performant. C'est du grand show sous forme de coquille vide. Une fois de plus la preuve qu'une bonne idée sans narration, ben ça fait pas un bon film.
Article à retrouver sur The Film Society.