Après un passage par la science-fiction et la seconde guerre mondiale, Nolan remet les pieds dans son laboratoire en s’essayant cette fois au film d’espionnage. Au programme, costards clinquants, voyages aux quatre coins du monde, yachts de luxe, un méchant russe et action débridée. Mais tout cela à la sauce Nolan avec une idée clé conférant (supposément) son originalité à l’intrigue et propice à l’expression de la créativité du réalisateur.
De ce côté-ci le film tient ses promesses. Tenet nous livre de l’action de haute volée, donnant lieu à des scènes déconcertantes en ce qu’elles bousculent nos habitudes et qui donnent le vertige par le travail et l’ingéniosité nécessaire pour filmer et monter tout cela en un tout cohérent. Nolan introduit dans un univers aux règles renversées et nous gratifie de très belles images.
D’un autre côté, le jusqu’au-boutisme de ce dernier dans sa volonté de développer de manière logique les conséquences de l’idée fondatrice du film rend tout cela très complexe à appréhender. Du moins en un seul visionnage. Ce qui va jusqu’à rendre incompréhensibles plusieurs scènes d’action à partir du milieu du film. Paradoxalement, alors qu’un des personnages, semblant s’adresser au spectateur, recommande de « ne pas essayer de comprendre mais ressentir », Tenet est un film sacrément exigeant. Trop à mon goût en tout cas. Plus tard dans le film, un autre personnage va demander au protagoniste de « penser de manière moins linéaire ». Faut-il y voir contradiction ? En tout cas, ces deux répliques illustrent les tensions qui parcourent l’intention du film. De la même manière, le film va très vite, nous transportant d’une situation à une autre tout en nous expliquant à toute vitesse et avec de nombreux détails les enjeux de la prochaine baston ou braquage. Là encore, Tenet n’est pas spécialement généreux avec le spectateur qui se trouve contraint de tout assimiler en très peu de temps. Et cela au détriment du plaisir en cours de visionnage.
Malheureusement, en plus de cette complexité, Tenet ne bouleverse pas les codes du film d’espion, loin de là. Le scénario cousu de fil blanc et les personnages assez ternes ne trouvent pas réellement grâce à mes yeux et ne comblent pas les difficultés soulevées plus haut. Au contraire, ils donnent à l’idée directrice du film un côté un peu gadget, surtout là pour son potentiel en termes de réalisation et d’image, à défaut d’être mise au service d’une histoire intéressante.
D’autant plus que Nolan entend nous révéler les objectifs des ennemis, très liés au message du film, dans une scène à la fin du film, filmée comme un climax sensé changer notre vision du film. Mais la révélation peine à surprendre. Quelle autre raison les humains du futur auraient-ils de mener une guerre contre nous et d’essayer d’inverser le sens du temps si ce n’est parce que la Terre sur laquelle ils vivent a été ruinée par le réchauffement climatique ? Le sujet étant plus que d’actualité, il était facile d’anticiper cela à partir des 30 premières minutes du film.
Si l’idée d’une critique de notre négligence collective face à l’urgence climatique est louable et sans doute utile, sa formulation n’est, de plus, ni novatrice ni bien pensée. Comme dans Interstellar, Nolan choisit de partir d’une situation dans laquelle l’humanité a déjà perdu sa bataille contre le réchauffement. Là où il s’ensuivait la nécessité de trouver une nouvelle planète pour l’humanité dans Interstellar, il s’agit ici de se défendre contre nos descendants qui ne s’estiment pas responsable de la situation qu’ils ont à endurer et qui essayent de s’en sortir à nos dépends. A chaque fois, il s’agit de considérer le changement climatique comme inéluctable et pour les personnages de Nolan d’en gérer les conséquences du mieux qu’ils peuvent. Autant dire que le scénariste n’entend pas réfléchir à une quelconque solution au problème où à nous donner des outils pour nous y confronter collectivement puisque tout est déjà joué. La critique se réduit alors à des aspects purement individuels et moraux lorsque le parallèle est établit entre le méchant qui refuse qu’un autre puisse être avec sa femme et qui est prêt à la tuer pour prévenir cela et le riche qui refuse que d’autres puissent profiter de la planète à part lui et qui est prêt à la tuer pour en profiter le plus possible. Là encore avec une subtilité minimale. Et finalement ce thème reste plus au stade de prétexte pour la guerre entre futur et présent plus qu’autre chose, comme il l’était déjà dans Interstellar.
Au-delà des prouesses de réalisation et d’un sens certain de l’image, Tenet reste un film d’action assez banal en termes de scénario et de message. A force de vouloir suivre à la lettre les implications de son idée directrice, Tenet pêche par une complexité loin d’être nécessaire qui joue même contre le principe d’un film d’action en en ruinant les scènes les plus percutantes.