Rappelez-vous, en 2020, la pandémie de covid-19 a cloué le public à la maison, achevant de convertir les foyers à Netflix, Disney +, et autres plateformes de streaming. La difficile reprise de la fréquentation des salles de cinéma post-confinement faisait craindre le pire : la fin d'une ère... Tous les espoirs reposaient alors sur un nom, et un film : Tenet, dernier long-métrage de Christopher Nolan, attendu pour l'été 2020.
Christopher Nolan : voilà un réalisateur dont on sait déjà, sans que le temps ait besoin de faire son oeuvre, qu'il a durablement marqué l'industrie cinématographique, la façon de faire des blockbuster et le public en règle général. Pour les gens de ma génération, des films comme Interstellar, The Dark Knight ou Inception sont déjà des classiques, ayant marqué pour beaucoup l'entrée dans la cinéphilie.
Alors, qui, sinon Nolan, pour sauver le cinéma ?
Tenet : un sous-Inception
Seulement, voilà, le risque quand on s'appelle Christopher Nolan et qu'on arrive en 2020 avec un nouveau film, c'est évidemment de se caricaturer, de forcer le trait de ses propres gimmicks en partant du principe que c'est ce que le public attend. D'autres grands noms sont passés par là et passeront par là, signant l'équivalent de ce que Tenet incarne dans la filmographie de Nolan.
C'est précisément le souci de ce Tenet, qui coche scrupuleusement les cases de ce que tout fan de Nolan est en droit d'attendre : un scénario élaboré, faisant la part belle aux rebondissements, aux set-up/pay-off et autres twists, et un concept fort - ici celui de l'entropie inversée - là où Inception avait ses rêves emboîtés. Et comme Inception, dont quasi la moitié du film est consacré à expliquer les règles du jeu et le concept du film, Tenet explique et explicite cette logique de voyage dans le temps pour ne pas perdre le spectateur en chemin.
En bref, Tenet fait tout comme Inception, mais est juste beaucoup moins bien. Alors, pourquoi ?
Faire du Nolan = viser le grand public
C'est intéressant parce que par bien des aspects, Tenet est effectivement le film le plus "nolanien" de Christopher Nolan, mais il loupe l'essence, la substantifique moelle (oui j'ai dit ça), la sève discrète de ce qui fait un film de Nolan. Car, aussi vrai qu'Inception n'est pas son meilleur film et qu'Interstellar est, en mon sens, bien meilleur, Christopher Nolan ne fait pas des films expérimentaux, compliqués ou alambiqués, il fait des blockbusters pour le grand public. C'est là-dedans qu'il est le meilleur.
Ces choix scénaristiques, ces films à "concepts" comme peut l'être Inception et ses rêves emboîtés, ce n'est qu'une astuce, un tour de magie (petite réf au Prestige, peut-être son meilleur film), une illusion pour émerveiller son spectateur. Et j'écris ceci - "émerveiller le spectateur" - dans le sens le plus noble que l'on peut imaginer : car, émerveiller le spectateur, ça exige beaucoup de rigueur dans l'écriture et dans la mise en scène d'un film.
Pour multiplier les rebondissements, entretenir le mystère et surprendre le public, il faut baliser le terrain de jeu, expliquer les règles, quand bien-même elles peuvent être compliquées : c'est précisément ce que le réalisateur s'emploie à faire dans ses meilleurs films. Nolan ne vise jamais le compliqué pour le plaisir d'être pédant, mais parce que c'est un outil pour créer du spectacle.
Ludwig Goransson le roi
Tenet, c'est une caricature de film de Nolan, parce qu'il reprend bêtement ce trait-là - celui de "faire compliqué" avec un scénario empêtré dans le sujet ô combien casse-gueule du voyage temporel - sans essayer de comprendre les dessous de l'affaire, à savoir que ce qui compte réellement c'est l'implication émotionnelle du spectateur.
Pourquoi Interstellar marche ? Parce que derrière cette histoire de trou de ver, de trou noir et de voyage interstellaire, on a un père qui cherche à revoir sa fille. Idem pour Inception et la relation entre Cobb, qui cherche à faire le deuil de sa femme. Là où le personnage principal de Tenet, campé par le plutôt convaincant John Washington, n'est aucunement impliqué émotionnellement dans le scénario. Seul le personnage de Kat, joué par Elizabeth Ebicki, est vraiment développé, mais elle est relayée au second plan.
Bref, ça ne marche pas et ajoutez à ça Kenneth Branagh qui joue le méchant russe avec un accent aléatoire, et vous avez la recette parfaite d'un pétard mouillé.
Seul vrai point positif, et pas des moindres vu qu'il contribue à lui seul à me faire aimer le film : la musique signée Ludwig Goransson, une merveille d'expérimentation musicale.