Alors oui, bien sûr, qui dit Bertrand Blier dit Les valseuses et Buffet froid mais, en ce qui te concerne, t’es plutôt du genre à dire Trop belle pour toi et, surtout, Tenue de soirée dont tu connais les dialogues quasiment par cœur. Par cœur chaque punchline, chaque intonation, chaque silence, chaque coup de gueule. Et puis difficile de ne pas aimer un film qui commence avec un «Pauvre type, espèce de con, t’es vraiment rien qu’une merde» balancé face caméra par Miou-Miou. Qui commence dans un dancing minable au son d’une musique ringarde (merci Serge Gainsbourg) où Monique et Antoine, losers sur toute la ligne, rencontrent Bob, cambrioleur flambeur sans foi ni loi qui jette son dévolu amoureux sur Antoine. Celui-ci ne se laisse pas faire («Je ne vais tout de même pas me faire enculer sous prétexte que c’est un ami»), s’accroche à Monique qui ne dit trop rien, objecte à peine, puis cède finalement aux avances de Bob…
Blier filme une ronde des corps et des émois dans une société déshumanisante, pervertie par l’argent, où tout le monde est seul, triste et dépressif, les riches comme les pauvres, les femmes comme les hommes. Où tout le monde se balade avec un flingue ou un couteau, est prêt à dominer l’autre ou, pourquoi pas, à le vendre. Pour autant, pas question de broyer du noir. Blier, comme à son habitude, et même plus que d’habitude, manie un humour à froid absolument jubilatoire, n’hésitant pas, pour l’époque (nous sommes en 1986, soit quatre ans à peine après la dépénalisation de l’homosexualité), à porter un regard audacieux, sinon subversif, sur le désir masculin dans tous ses états (et sur le désir en général). Sur une identité sexuelle soudain brouillée, toute chamboulée. Et retournée, évidemment.
L’homosexualité, ici, n’est jamais perçue comme un problème, sinon par Antoine (du moins au début). Jamais non plus comme une honte («Et moi, ta honte, je la transforme en bonheur. J’en fais un bouquet de fleurs», dira Bob à Antoine avant que celui-ci ne passe à la casserole). Blier se fout bien des genres, de qui baise qui. Ce qui l’intéresse, ce sont ces âmes en galère qui cherchent un peu d’amour quand, autour d’elles, il n’y a que misère, salopards et corruption des sentiments. Parfois tendre, parfois cruel, toujours drôle, un peu brouillon dans son montage et son déroulé narratif, Tenue de soirée brille par la beauté («Regarde-toi dans mes yeux, tu vas te trouver sublime») et la truculence («Moi je veux vous voir baiser ma femme. Un par devant, un par derrière, pendant ce temps-là je vous enculerai») de ses répliques dont la verve, incessante, n’en finit pas de nous régaler et de nous faire rire aux éclats.
Alors forcément, avec de tels dialogues aux petits oignons, ciselés à la virgule près, les acteurs s’en donnent à cœur joie (il faut voir Gérard Depardieu en petit slip léopard promettant à Michel Blanc qu’il va l’enculer et qu’il va aimer ça). Miou-Miou, Depardieu et Blanc, qui recevra le prix d’interprétation à Cannes, forment un ménage à trois hilarant dont les mésaventures et les diverses rencontres amèneront, dans un sursaut de désespoir («Pour faire sa vie, faut avoir la vocation de vivre. Moi ma vocation, c’est de crever», résumera Antoine, désabusé), à enfiler perruque et bas résille pour (sur)vivre. Initialement, tout le monde terminait par se foutre en l’air. Blier modifia la fin (magnifique regards caméra de Blanc, travesti, en train de se remaquiller), évoquant plutôt «l’actualité médicale» (le Sida) et décidant d’épargner ses personnages, obligés pourtant de faire le trottoir. L’avenir de l’homme, du moins ce qu’il en reste, c’est donc ça : asservi à la société et aux autres. C’est, en somme, son devenir putain.
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