Pas encore neuf ans, petit mais bouboule, on me vieillissait souvent d'un ou deux ans. A cette époque, Terminator sortait en salles assorti d'une interdiction aux moins de treize ans non accompagnés d'un adulte.

Première tentative logique, les parents :


_Moi : Môôman ?

_Maman (après avoir lu le pitch dans le journal local) : Ah oui mais non ! Tu m'as eu pour ta guerre des étoiles avec les nounours mignons, tu m'as eu avec la voiture hantée qui roule toute seule, tu m'as eu avec tes chasseurs de fantômes, alors là non ! tes trucs de robots tueurs du futur c'est non ! Toujours la violence en plus ! Des robots, pfff, et du futur en plus... Demande à ton père !


Ton péremptoire d'un refus catégorique. Le non définitivement négatif maternel encaissé, je me tourne du côté paternel que je sais pourtant imperméable à la SF. Sait-on jamais.

_Moi : Papa hé P'pa, y a un film qui sort au ciné...

_Papa : C'est un western ? Un film de guerre ?

_Moi : Euh non mais doit y avoir de l'action...

_Papa : Oui ben si c'est encore avec des limaces extra-terrestre et des sabres lasers, merci mais non merci. Demande à ta mère !

Et merde ! Néanmoins je tente encore :

_Moi : Ben non, là y a pas d'extra-terrestre, c'est un robot venu du futur pour...

Mon père leva la main d'un geste autoritaire habituel intimant un silence immédiat ne souffrant aucune contestation.

_Papa : Y a Rio Bravo à la télé !


Déclaration lapidaire me signifiant la fin de la conversation. Tête basse je dûs me résoudre à passer à mon plan B : mon frère aîné, avec qui il fallait éviter d'être en dette. Celui-ci avait l'àge suffisant pour se passer d'un adulte afin d'assister à la projection de l'objet cinématographique de mes désirs d'enfant. Le veinard ! En échange de la promesse d'un cornet Miko payé sur mes propres deniers, il accepta de m'accompagner. Joie enfantine et frisson d'excitation durant le trajet.


Ouais ben que nenni mon ami ! C'était compter sans le cerbère de la caisse qui doucha mon bonheur d'un refus acide. Si mon frangin pouvait accéder à la salle, en tant que mineur il ne pouvait être considéré comme un adulte, encore moins responsable, et surtout pas le mien légalement. Le cerbère resta de marbre devant mes arguments : principalement supplications et fàce de Chat Potté. Que je croyais imparable à l'époque. Donc retour à la maison et à la case départ. Pire encore. Mon frère me ramena mais ne s'attarda pas. Il se ruait de nouveau au cinéma pour assister à la séance suivante tant je lui avais vendu la pelloche. Sourire goguenard en me souhaitant la bonne après-midi devant Rio Bravo. Pour moi le rictus enragé.


Dernière alternative, le culot évidemment. Advienne que pourra, je tentais crânement ma chance les jours suivants prenant soin d'éviter le cerbère pour des caissières que j'espérais plus conciliantes ou moins observatrices. Après tout, c'était passé pour Le Temple Maudit quelques semaines auparavant.


Ouais ben tintin mon cousin ! Chacun de mes essais se solda par un échec cinglant. Une paire d'années plus tard j'aurai appris à frauder les interdictions en payant pour un film et bifurquant vers la salle de celui que je voudrais vraiment voir. Mais à l'époque de Terminator peu de vice entachait mon innocence enfantine. Au terme d'idiot je préfère celui de naïf.

Alors je renonçais bientôt, devant me résoudre à utiliser ma dernière arme pour enfin visionner ce film : la patience. Imperturbable aux moqueries et vraies et fausses informations délivrées par mon frangin (Le spoiler, fameux divulgachâge, étaient des termes inexistants à l'époque), j'attendais donc d'enfin voir apparaître la tête d'Arnold Schwarzenegger dans les rayons du vidéo-club voisin. Ceci dit je sentais l'enthousiasme de mon aîné vraiment sincère envers ce film. Finalement récompensé, mon supplice prît fin un samedi après-midi.


Seul. Ma mère en mission supermarché, mon père accompagnant mon frère à l'une de ses activités sportives, j'ai dû négocier pour rester seul à la maison. J'ai tout un tas de consignes à respecter : fermer de l'intérieur et enlever les clés de la serrure, n'ouvrir à personne, ne pas goinfrer friandises et sodas soi-disant soigneusement comptés, j'en passe et des nombreuses. De toute façon, une fois la K7 dans le magnétoscope (objet pratiquement disparu, sorte de lecteur BluRay en plus archaïque : il fallait rembobiner la bande VHS pour... ouais je laisse tomber le cours d'histoire), installé confortablement cornet chocolat-vanille dans une main, télécommande dans l'autre, je ne comptais plus bouger du canapé avant la fin de ce film, qui-avait-plutôt-intérêt-d'être-bien-bordel ! Ben ouais, après tout ça, j'estimais le mériter. J'appuyais sur le bouton lecture...


... Orion...


1h45 plus tard, le générique finit de se dérouler sous mes yeux pleins d'étoiles.

Je suis Sarah Connor, survivante engrossée du futur sauveur de l'humanité. Je suis Kyle Reese, soldat protecteur venu d'un futur cauchemardesque, géniteur sacrifié par son propre fils. Par dessus tout, dans mes rêves de gosse, je suis le Terminator, cette machine implacable, toute entière dévouée à sa mission. Skynet est l'ennemi définitif, invisible, impalpable, redoutablement dangereux. L'avenir sera résolument pessimiste. Je suis aux anges, mes espérances dépassées. De très loin.


Oeuvre fondatrice pour le petit ciné-plus-phage-que-phile que j'étais à l'époque, Terminator serait sinon mon film préféré tout genre confondu, qu'il en tutoierait les sommets du classement. Culte Ad Vitam Aeternam.


Le temps de rembobiner la bande VHS (promis je ne recommencerai pas) et je relance le film, en compagnie de ma famille de retour à la maison en cette fin d'après-midi...


... Orion...


1h45 plus tard, ma mère a posé son magazine de mots-fléchés depuis longtemps, et mon père son Historia spécial Seconde Guerre Mondiale.

_Frangin (s'adressant à moi) : T'as vu, hein, t'as vu, ça déchire. Je t'ai pas menti hein !?!?

_Papa : C'était bien non ?

_Maman : C'était surtout violent, comme d'habitude... (soupir) Mais cette histoire d'amour, une seule nuit, c'est tragique...

_Papa : Ouais... Finalement le robot est pas mal quand même.

_Moi : Pas juste un robot P'pa, un cyborg. Il a du tissu humain sur...

Geste d'autorité pour me faire taire et conclusion laconique :

_Papa : Oui, bon ! Allez à table, on mange et après y a Les 12 Salopards à la télé...

Goloumledosfin
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le 12 août 2022

Modifiée

le 29 juil. 2022

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