- Alors que la planète entière vient d'assister à la fin de la trilogie des étoiles de George Lucas, un petit film de SF aux allures de thriller sort sur les écrans et créé la surprise. Produit pour un budget minimal, Terminator s'impose comme l'un des plus grands succès de l'année et amorce un tournant décisif dans le panorama cinématographique de l'époque. Avec ce seul long-métrage, son jeune réalisateur, un dénommé James Cameron, bouleverse les canons de la SF cinématographique et traumatise durablement les spectateurs en leur proposant un spectacle d'une noirceur abyssale dont certains ne reviendront jamais vraiment. Une course-poursuite nocturne toute aussi haletante que désespérée, ponctuée de morceaux de bravoure inoubliables et de visions cauchemardesques que jalouseront et imiteront bon nombre d'autres réalisateurs du genre. Il faudra attendre sept années pour que Cameron, désormais nouveau roi d'Hollywood, en propose une suite insurpassable, véritable monument d'une SF iconique et révolutionnaire, qui changera à jamais la donne pour tous les blockbusters à l'écran.
Encore aujourd'hui, Terminator 2 reste un spectacle d'une intensité rarement égalée. Un simple remake de luxe diront ses détracteurs, tant cette suite semble décalquer la construction du premier film, en forme de course-poursuite effrénée. A quelques différences notables évidemment : en 1991, Schwarzenegger est devenu un authentique héros américain et se voit donc logiquement hériter du rôle d'ange gardien. Son protégé est un adolescent et donc un personnage propre à ouvrir la franchise à toute une nouvelle tranche de spectateurs. L'antagoniste quant à lui, est une machine à tuer à priori indestructible, un chara-concept essentiellement visuel dont les formidables métamorphoses témoignent alors de l'avènement des effets spéciaux numériques. Des changements aux airs de vulgaires coups marketing propres à appâter le plus large public.
Et comme on le sait, ces quelques arguments promotionnels (dont le teaser légendaire signé Stan Winston qui montrait la fabrication en série des T-800) ont suffit a garantir au film un succès largement mérité. En rapportant plus d'un demi-milliard dans le monde entier, Terminator 2 initiait ni plus ni moins que l'ère des blockbusters modernes et propulsait définitivement Cameron au rang des réalisateurs les plus importants d'Hollywood. Encore aujourd'hui, le film n'a pas pris une ride et s'avère même bien plus impressionnant que la plupart des grosses machines qui lui ont succédé. Il suffit de se repasser le film et de voir avec quelle virtuosité, Cameron enchaîne dans ce second opus les morceaux de bravoure et redéfinit à lui-seul la conception du cinéma spectacle tel qu'on le connait. De ce prologue post-apocalyptique nous dévoilant la défaite des machines à ce final oppressant dans la fonderie en passant par cette course-poursuite dans le déversoir asséché et l'attaque des locaux de Cyberdyne (j'ai longtemps rêvé de canarder une armée de flics à la Gatling après ça), Terminator 2 reste encore aujourd'hui un monument d'action et de science-fiction épique. Dès lors, impossible de nier au chef d'oeuvre de Cameron son statut de pierre angulaire du cinéma de genre moderne. Il suffit d'ailleurs de considérer l'héritage cinématographique qu'aura laissé le pugilat insensé de ses deux machines vedettes, celles-ci préfigurant pour beaucoup les exploits surhumains des comic books movies actuels. D'autant que la force de l'iconisation déployée par la mise en scène de Cameron, couplée à son fétichisme du flingue, impressionne toujours autant aujourd'hui, le cinéaste excellant à magnifier chaque intervention salvatrice du T-800 (la scène de la galerie marchande et celle où il fait basculer le camion citerne sont à ce titre simplement grandioses) ainsi que les métamorphoses alors inédites de son terrible adversaire.
Mais au-delà de ce tour de force technique et visuel, la réussite du film découle également d'un formidable travail de caractérisation qui enrichit considérablement la mythologie mise en place dans le premier opus. L'héroïne Sarah Connor y passe ainsi de la ravissante et candide serveuse à l'activiste guerrière et vindicative, internée dans un asile de haute sécurité où elle ne cesse de proclamer à qui veut l'entendre que la fin du monde est proche. Hantée par des visions d'apocalypse effroyables (ce cauchemar de l'holocauste nucléaire...), la mère du futur sauveur de l'humanité devient dans T2 une sorte de Cassandre moderne, toute aussi pugnace que désabusée mais toujours prête à craquer et à révéler son humanité, que ce soit devant l'homme qu'elle ne peut se résoudre à abattre ou face à l'apparition de celui qu'elle prend pour son ancien bourreau. Il faut avouer que rien n'avait préparé le spectateur à une telle évolution depuis la fin du premier film et ce même si celui-ci abandonnait le personnage à une certaine fatalité. Ce traitement général des protagonistes passe aussi dans la relation ingrate qui lie Sarah à un fils qu'elle ne connaît finalement pas et qui nous est tout d'abord présenté comme un adolescent à la dérive, placé dans une famille d'accueil et prenant sa mère pour une folle. Sans référent digne de ce nom, John semble finalement trouver en son nouveau protecteur, le T-800, un substitut improbable de modèle paternel (et ce, après l'avoir considéré tout d'abord comme une machine servile puis comme un ami). En résulte de nombreuses scènes où les émotions du gamin se heurtent aux réactions glaciales d'un robot qui s'humanise progressivement au contact de son protégé. Le Terminator semble d'ailleurs apprendre bien plus de l'enfant que de sa programmation simplement homicide, et ce jusqu'à finalement saisir l'essence de l'humanité au détour d'une ultime réplique témoignant plus de l'homme résigné que de la machine programmée.
Alors oui, Terminator 2 Judgement Day est avant tout un formidable spectacle, bardé de séquences d'anthologie et porté par des effets spéciaux révolutionnaires pour l'époque. Mais ses nombreux passages intimistes, la force de sa caractérisation et la dynamique efficace formée par son trio de protagonistes (que tentera de décalquer en vain l'indigent Genisys) ainsi que son propos humaniste et anti-déterministe finit de faire de cette suite une oeuvre intemporelle et insurpassable. Preuve en est, ce second opus a depuis engendré deux suites, une série dérivée et un pseudo-reboot (auxquels Cameron ne fut pas attaché), lesquels, malgré d'indéniables qualités, furent avant tout plombés par un côté ultra-référentiel qui limita leur portée narrative et les empêchèrent de s'émanciper de leur modèle. Qui plus est, aucune de ces oeuvres ne réussit à retrouver l'aura visionnaire et la puissance émotionnelle du diptyque de Cameron. Ce dernier ne revint d'ailleurs à Terminator que le temps d'un T2 3D Battle across time avant de se détourner de sa création au profit des immenses succès que l'on sait. On nous annonce aujourd'hui son retour à la franchise à l'occasion d'un T-6, cette fois réalisé par Tim Miller (Deadpool), Cameron se contentant d'en co-écrire le script. Mais on a beau attendre cette énième itération de pied ferme, il est fort à parier que le spectacle n'aura jamais la classe folle de ce chef d'oeuvre quasi-trentenaire.