Comment succéder au Jugement Dernier ?
Comment, après le tour de force technique du second volet made in Cameron, la faillite de Carolco Pictures, et la démocratisation dans les années 2000 des effets visuels inédits dix ans auparavant, était-il possible de réitérer le classique de 1991 ? Le tout sans James Cameron à la barre ?
Ce sont apparemment des questions que ne se sont pas du tout posées le réalisateur Jonathan Mostow et les scénaristes John Brancato et Michael Ferris dans la genèse et le développement de Terminator 3 - Le Soulèvement des Machines...
Partant d’un pitch aussi facile qu’incohérent dans la mythologie Terminator, ce troisième volet de la saga culte nous propose une nouvelle chasse à l’homme dans le passé initiée par l’I.A. du futur, I.A. pourtant défaite à la fin du Jugement Dernier. Les valeurs mercantiles d’Hollywood concernant le potentiel vendeur d’une saga étant ce qu’elles sont, on pourrait donc faire un effort et faire fi de la conclusion de T2 pour s’intéresser à sa suite.
On suit donc encore une fois les péripéties de John Connor, cette fois adulte, qui vit en marge de la société et erre sans but dans un monde qui, en apparence, n’aura plus besoin de lui dans le futur car le Jugement Dernier n’est pas arrivé. Ce nouveau mode de vie du personnage principal le rend introuvable de Sky-Net qui, bien au chaud et toujours opérationnel dans le futur, envoie tout de même un nouveau Terminator dans le passé pour éradiquer les généraux importants de la lutte contre les machines dont John Connor sera le leader.
Pourquoi l’existence de Sky-Net est-elle toujours ancrée dans l’avenir et pourquoi le Jugement Dernier, s’il est retardé, va tout de même avoir lieu ? Tout simplement parce que les humains n’ont pas vu les films de Cameron, et ne sont pas au courant des éventuels dangers de l’intelligence artificielle. Ils continuent donc leur quête technologique et militaire, même après ce qui est arrivé à Cyberdynes Systems à la fin de T2, et vont favoriser l’émergence de l’I.A. et lui donner toutes les cartes en main pour détruire le monde.
Mais bref, je diverge.
Ce nouveau cyborg qu’est le T-X, plus perfectionné et plus dangereux (du moins sur le papier), retrouvera tout de même la trace de Connor en traquant l’une de ces cibles, Kate Brewster, future femme du chef de la résistance et actrice importante du conflit futur. Évidemment, il est inutile de préciser que le rempart envoyé du futur pour protéger Connor et Brewster face au T-X n’est autre que Schwarzenegger.
Ce qui va caractériser Terminator 3, ce sont de diverses bonnes idées, comme un nouveau cyborg enrichissant la mythologie de la saga, un John Connor vivant en marge de la société et privé de son destin, une nouvelle figure féminine forte, la question de la volonté de la machine et...
Bullshit ! Si sur le papier, les idées auraient pu être intéressantes, le traitement sur grand-écran l’est beaucoup moins, voir même inexistant, Terminator 3 va simplement enchaîner des séquences d’action et des scènes de dialogues, en reprenant la structure du film précédent, sans donner une grande importance aux enjeux ni étoffer ses personnages comme l’avait si bien fait Cameron 12 ans auparavant.
D’une durée de 109 minutes (soit presque une demi-heure de moins de T2), Terminator 3 va prendre des allures de road-trip alternant entre des scènes d’action explosives et des passages plus tempérés où majoritairement le personnage du T-850 posera un contexte sur telle ou telle situation. Loin d’être mauvais sur le plan technique, le film sera tout de même bien loin de ce qu’avait proposé Terminator 2, la faute à trop de coupes durant les séquences d’action (un montage presque épileptique quelques fois qui n’arrive pourtant pas à donner plus de dynamisme au tout), ne favorisant pas l’immersion comme c’était le cas dans le volet précédent et le manque flagrant de plans iconiques. Le film se contentant finalement de rappeler (pas trop subtilement) certaines scènes clés du Jugement Dernier, à savoir le moment où le cyborg interprété par Schwarzy est à la recherche de vêtements, la poursuite en camion ou encore un combat d‘anthologie (une fois de plus, sur le papier) entre les deux machines.
Sur la forme, le long-métrage tente de rendre hommage à son aîné et de rappeler le frisson du spectateur en 1991, mais Mostow n’étant pas Cameron, sa mise en scène plutôt générique ne permet pas de retrouver le climat de tension ni la fulgurance visuelle de son prédécesseur, et les baisses de rythme dans le récit, ainsi que le montage lent du film vont rendre le divertissement proposé moins fluide, moins palpitant et plus long de ce qui avait été fait dans T2, oui, malgré la demi-heure de moins.
Malgré les 200 millions de dollars alloués au budget du film, les effets visuels, pourtant corrects, ne seront pas spectaculaires, surtout en ce début de millénaire où Spider-Man, la prélogie Star Wars et bien évidemment la saga du Seigneur des Anneaux entre autres vont opposer une concurrence des plus rudes ou amener une nouveauté dans le domaine des effets spéciaux.
Visuellement, Le Soulèvement des Machines, de par le contexte dans lequel il est sorti et sa date d'exploitation en salles, n’apportera aucune plus-value au Jugement Dernier qui avait une valeur pionnière en termes d’évolution technologique.
Mais l’aspect qui handicapera le plus le film ne sera pas sur le plan technique, mais sur le plan humain. En effet, les personnages, nouveaux ou récurrents, seront peu développés, voir démystifiés, et ce même indépendamment de la parodie culte de Mozinor qui fera son petit succès sur YouTube.
Le traitement des personnages est ici aux antipodes de ce que Cameron avait développé dans le Jugement Dernier.
Si Schwarzenegger revient inéluctablement dans son rôle le plus iconique (avec un cachet monumental à la clé), la grande faiblesse de l’acteur ici crève l’écran : sans un excellent cinéaste pour le diriger, l’iconiser et le rendre attachant, Schwarzy s’écroule, s’enlise dans une performance bas-du-front et à côté de la plaque, à peine mieux, car il est encore en 2005 dans une forme olympique, que celle qu’il livrera 10 ans plus tard dans le cinquième volet de la franchise. Schwarzenegger dans Terminator 3 est un cas d’école, et malheureusement pas le seul dans la carrière de l’acteur, car comme dit plus haut, Jonathan Mostow n’est pas Cameron, et ce n’est pas non plus Milius, McTiernan ou Verhoeven. Schwarzennegger est bien-sûr conscient de sa propre légende, sa carrière est là pour le prouver, mais il a également eu malgré sa célébrité le bon sens (au contraire de son compère et rival de toujours Stallone par exemple) de reconnaître ses limites en tant que comédien et de collaborer avec des grands réalisateurs pour enrayer ce défaut, des cinéastes qui affineraient l’écriture des personnages qu’il incarnerait et qui rendraient ses apparitions et donc les films en question cultes. Ce n’est ici pas le cas dans ce troisième volet de la franchise.
La scène la plus représentative de cela dans Le Soulèvement des Machines, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre et qui a fait saigner les yeux de nombreux fans, c’est celle où notre androïde préféré est sensé sortir de la boîte de nuit où il a trouvé ses vêtements.
Dans cette scène, en l’espace de quelques secondes, le personnage est démystifié. Sur la forme déjà, la séquence est courte, expéditive, l’acteur n’est pas filmé en contre-plongée comme c’était le cas dans le film précédent, la lumière ne le met pas en valeur, et dans le fond, voir le cyborg prendre les fringues d’un stripteaser et mettre ces horribles lunettes roses, tout en connaissant la scène mythique du Jugement Dernier, se passe tout simplement de mots. Exit le panache d’un Schwarzenegger badass au summum de sa gloire sous du Georges Thorogood, ici, le T-800 se ridiculise en un temps record avec en fond sonore les Village People.
D’autres scènes ne vont pas rendre justice au personnage culte créé par Cameron, comme son combat plutôt grotesque dans les toilettes contre le T-X, entre concours de grimaces et destructions de cuvettes de WC innocentes, ou encore sa punchline à des années lumières d’un «I’ll be back» ou «Come with me if you want to live». Au sein de son propre film, ce pilier indéboulonnable qu’est le Terminator se sera auto-terminé de la plus piètre des manières.
Que dire également du personnage de Sarah Connor, pourtant chargé de symbolisme, l’archétype de la battante, de la femme forte, contrainte de mûrir et s’endurcir face à un adversaire qui la changera à jamais. Amante brisée, mère déchirée, un espoir dans le passé, une légende dans le futur. Oui que dire d’un tel personnage dans Terminator 3 ? Rien, car cherchant à cacher l’absence de Linda Hamilton qui n’en avait sûrement rien à faire d’un tel projet si Cameron n’était pas derrière, Sarah Connor, la mère du futur, celle qui a tout appris à son fils, est mentionnée au cours d’une scène courte et peu inspirée comme morte d’une leucémie. John aura beau dire qu’elle s’était bien battue, le mal est déjà fait, le ton du héros restant effacé, le drame devenu négligeable. Tout le problème est là, ça n’est que dit, et même survolé. La mère du futur a disparu furtivement hors-champs, l’un des personnages féminins les plus émouvants du monde de la science-fiction au cinéma aura été expédié à l’aide d’une mort à la limite de l’anecdotique. Le second pilier de la saga imaginée par Cameron est aussi ici démystifié, le tout sans apparaître à l’écran.
Le choix de faire de John Connor un individu qui s’est marginalisé du fait de son destin évité, ce même destin dont il aura été préparé toute sa vie, était en soi une bonne idée comme nous l’avons dit précédemment. Mais comme une bonne idée ne signifie pas forcément un bon traitement, ni un bon film, elle se casse ici méchamment la figure, la faute à un Nick Stahl qui campe ici non pas ce chef de la résistance ayant sombré dans la toxicomanie et en marge de la société, mais tout simplement une épave. John Connor avait avant Le Soulèvement des Machines une aura qui tenait tout du guerrier de légende, du héros à protéger avant tout, limite messianique, car hormis à l’adolescence et en recherche d’un substitut paternel, il n’avait été développé que dans un cadre hors-champs, et seule une furtive image dans l’introduction du second opus de la saga le montrait à l’âge adulte. Boum, Stahl vient ici désacraliser le troisième pilier de la saga.
Comme pour rendre hommage aux portraits de femme forte si chers à Cameron, les actrices Claire Danes et Kristanna Loken font ici office de substitut à la mère du futur, la première renvoyant à Sarah Connor en 1984, la seconde à une version améliorée du T-1000. Si Danes «fait le job» et est de manière générale une actrice convaincante, il est pourtant difficile de ressentir des émotions face à ce personnage pas suffisamment développé. De même, la relation avec son fiancé qui va se révéler être une victime du futur, survolée, et celle qui aurait pu se construire avec John Connor, possibilité qui aurait pu être mise en scène, ne sont pas posées, ce qui nous empêche de nous mettre à la place de cette nouvelle héroïne et d’avoir de l’empathie ou de l’admiration pour elle. On ne peut qu’imaginer l’écriture et le développement qu’aurait eu ce personnage s’il avait été écrit par Cameron ou un autre cinéaste réputé pour magnifier les personnages féminins, il aurait été possible de faire de Kate Brewster une femme transformée par la mort de son fiancé, de montrer ses fragilités et une part de force, la faire évoluer, de faire d’elle un soutien et un pilier émotionnel pour cette nouvelle version de John Connor. Bref, un portrait de femme qui avait pourtant du potentiel, rejoignant la liste de ces bonnes idées mal traitées de Terminator 3.
Quant à Loken, celle-ci nous donne une vision étrange d’un cyborg envoyé dans le passé, plus proche de la femme fatale que de la tueuse inarrêtable. Le T-X aura d’ailleurs diverses occasions de jouer les sentiments humains, tels un sourire en coin (lors de la scène de la poursuite en camion, après avoir envoyé le Chêne Autrichien sur un autre véhicule), un gémissement (la reconnaissance du sang de John Connor) ou une moue désapprobatrice lorsque les protagonistes lui échapperons. Tous ces éléments donnerons au final un personnage plus proche d’une femme de chair et de sang maltraitant Michael Douglas dans un film de Paul Verhoeven ou d’Adrian Lyne, que d’une version améliorée de Robert Patrick, un méchant terrifiant à la gentillesse feinte, mais froid et glacial sous son apparence humaine.
Terminator 3 apparaît ici comme une pâle copie du Jugement Dernier, uniquement en surface et sans la maîtrise formelle des deux premiers volets, car privé de personnages riches et complexes ou de thématiques qui auraient gagné à être étoffées (le portrait de la femme forte vu plus haut, mais également la question de la volonté de la machine, lorsque le T-850 est piraté par le T-X pour attaquer Connor, aurait pu être creusée). Tel un mauvais élève qui aurait copié toutes les bonnes réponses de son voisin sans pour autant comprendre le raisonnement de ce dernier, Terminator 3 est presque un ratage.
Je dis bien presque, car derrière tous ces défauts, que reste il ?
Eh bien il reste une fin. Fataliste, culottée, en totale contradiction avec le ton du film, lui-même plus proche du road-movie du dimanche que de la fresque de science-fiction que l’on attendait tous, la conclusion de Terminator 3 vient faire l’effet non pas d’un dernier acte salvateur (et explosif) comme c’était le cas pour ses prédécesseurs, mais finit sur le silence, la disparition progressive et immuable de l’espoir et un jugement dernier «inévitable». La trilogie d’alors meurt lentement, et non pas dans un climax spectaculaire, privant le spectateur de la jouissance d’une catharsis bienvenue.
Terminator 3 a refusé le happy-end, le méchant a gagné la partie. Un choix scénaristique déroutant, mais qui possède son petit cachet, surtout aujourd’hui, et trois Terminators plus tard.
Car oui, Terminator 3 n’est pas parfait, c’est mal écrit, monté avec des moufles, interprété par des acteurs faisant le minimum syndical, mais au regard des plus récents Genysis et Dark Fate, Le Soulèvement des Machines se révèle être un divertissement certes bancal mais néanmoins honnête, qui «épouse» la chronologie débutée en 1984 et ne la renie pas comme vont le faire ses successeurs de 2015 et 2019. De la désacralisation de ses icônes ne résulte pas la mise à mort de l’univers Terminator, et si ce troisième opus aura longtemps souffert de la comparaison avec ses monstrueux et cultissimes aînés, le résultat final tient plus de l'erreur de parcours bénigne que de la véritable démystification, le déclin de la saga est malheureusement encore à venir.
Alors qu’aujourd’hui, la saga Terminator est composée de 6 films allant du classique au pire étron, il convient aussi de souligner qu’il est difficile de juger Le Soulèvement des Machines en faisant abstraction de son prédécesseur, tant la présence du Jugement Dernier occulte toute possibilité de refaire un bon Terminator à nouveau. Il faut se rappeler que aussi bien dans cette saga que dans l’univers des suites au cinéma, T2 n’est pas une norme, c’est une exception. Cette relativisation faite, si Genysis et Dark Fate restent toujours des abominations pour les fans, Le Soulèvement des Machines en devient plus correct, et son existence ne faisant pas une énorme et indélébile tâche dans la mythologie Terminator.
Reste aussi évidemment le plaisir de retrouver le chêne autrichien à la mâchoire carrée, qui même dans un mauvais film brille par sa seule présence et son aura d’actionner à la carrière légendaire, d’autant qu’il partage ici l’affiche avec une Kristanna Locken dans sa vingtaine, toute de cuir vêtue. Un détail con, mais qui reste un détail.