Le parcours erratique d'un groupe de jeunes banlieusards à l'orée des années 60.C'est un Carné sur la pente descendante qui s'est attaqué à l'adaptation de "Tomboy",un roman de Hall Elson,et s'est méchamment planté.Pourtant,le réalisateur n'a rien perdu de sa superbe et filme la zone avec sa fameuse touche estampillée "réalisme poétique",alignant des plans extraordinaires portés par son sens du cadre et des mouvements d'appareils,bien aidé de surcroit par la belle photo de Claude Renoir et la magie de décors néo-expressionnistes.Sur le fond,tout est là et le film porte en germe tous les éléments qui aboutiront à la décadence sociale symbolisée par ces cités HLM.Le phénomène des bandes,la dérive vers la délinquance,les conflits intergénérationnels,les heurts entre ados et parents trop sévères ou trop laxistes,la pauvreté,l'obsession de l'argent et de la grande vie,la violence,le harcèlement moral.L'histoire est même quasiment prophétique et évoque des thèmes prégnants dans la société actuelle tels que le féminisme,l'homosexualité,la famille recomposée avec beau-père libidineux incorporé,la prison corruptrice,le développement des zones suburbaines déprimantes et de la criminalité qui va avec.Les auteurs semblent vouloir rendre les parents responsables de tous les problèmes mais,avec le recul et sans les exonérer totalement,leur progéniture est loin d'être exempte de reproche.Dans cette France pré-68,les jeunes ici présentés paraissent fainéants,velléitaires,immatures,du genre à vouloir tout tout de suite sans faire d'effort pour ça,et bien oublieux du passé quinze ans seulement après la fin de la seconde guerre mondiale.Certes,il s'agit de milieux défavorisés mais leur vie n'a pas l'air si pénible et leur quartier sensible,comparé à ceux d'aujourd'hui,ressemble à Disneyland.Mais il est vrai que l'insatisfaction est une constante du caractère humain.Quoi qu'il en soit,le grand coupable de l'échec de "Terrain vague" se nomme Henri-François Rey,ci-devant dialoguiste et co-scénariste du film.Sa vision de la racaille de banlieue est du plus haut comique et ses gangsters en herbe sont plutôt des durs à la mie de pain.En fait,le constat social n'est qu'esquissé au profit du mélo lacrymal et de l'histoire d'amour sirupeuse emballés de dialogues puérils.Et la représentation de ces jeunes est ridicule.Beaux gosses,bien habillés,bien peignés,propres sur eux,s'exprimant relativement bien,ils n'ont pas grand-chose du voyou redoutable type et semblent plutôt sortir d'un cours de théâtre,ce qui est effectivement le cas.Et un cours pas très bon en plus,vu la fausseté incroyable du jeu proposé.D'autres éléments assombrissent le tableau,comme la musique emphatique de Michel Legrand ou l'incapacité totale de Carné à filmer les scènes d'action.Visiblement,c'est pas son truc et Rémy Julienne n'était pas encore aux affaires.Du coup,les rares bagarres ou poursuites sont consternantes de nullité.On pourrait être enclin à l'indulgence compte tenu de l'époque à laquelle a été tourné le film mais quand on a vu "Los olvidados",de Bunuel,qui traitait du même sujet dix ans avant avec un réalisme,une poésie et une puissance incomparablement supérieurs,on se dit qu'il était possible de mieux utiliser un matériau intéressant à la base.