Téresa est un personnage de roman. Elle s’est trompée de milieu à la naissance, née paysanne.Comme dans un roman elle va, et veut retourner à ce qu’elle croit être sa vraie place. Son destin de petite paysanne a pris un tour inattendu, le jour où un homme à cheval, à eut le malheur de dire à son père qu’il avait un ancêtre de haute lignée. Elle l'apprend, et cette déclaration, innocente en apparence, va foutre toute la vie de Tess en l’air. Pendant tout le film, elle sera à la recherche de la reconnaissance dûe, grâce ou à cause de ce nom, synonyme de liberté, de changement de classe, de montée de l’échelle sociale, ce signe du passage du servage, à la liberté. Pour ne rien arranger, elle est mignonne comme une héroïne de télévonela, et sera balloté d’un monde à l’autre, par des hommes qui vont l’utiliser. Et elle souffrira comme une héroïne de feuilleton; une souffrance très exemplaire. C'est beau. Son « cousin » bourgeois va l’utiliser. Son mari, un idiot de première, qui lit Marx et se prend pour un donneur de leçon, va l’abandonner. Trop naïve, innocente, idéaliste, elle vit à l’époque de la révolution industrielle, (les scènes de travail sont très réalistes), et elle, elle pense comme au Moyen-âge. La noblesse de cœur, elle l'à, mais ce nom illustre, qui n’est plus qu’une illustration sur un mur poussiéreux, une incrustation sur la dalle d’un caveau, ne la sauveront pas. Pauvre Tess.
On vit depuis un moment maintenant, dans un autre monde, celui de la noblesse d’argent, la noblesse de robe, la noblesse de tiroir-caisse. Nous, on le sait, elle, dans son monde, ne le sait pas. Tess est victime à tous les niveaux. Victime d’une situation trop complexe pour sa petite tête. Son entêtement acharné nous concerne, car elle se bat, avec ses armes, même si c’est en pure perte, comme on le ferait sûrement à sa place. Est-ce si sûr, d'ailleurs? A notre époque compliqué, oú l'ascenseur social semble s'être bloqué; on n'en voit pas beaucoup comme Tess. Malheur aux rêveurs!
La mise en scène est dans le style tableau paysager; peinture dans la campagne anglaise. Tess est coincée dedans. C’est souvent filmé au ras du sol, on a les deux pieds dans la terre, sous un ciel est bas et fuyant, un monde sans issue, c'est d’une maîtrise formelle implacable. Le souci de représentation d’une époque plus que révolue est évident. On y croit, comme si c’était vrai, alors que c’est largement symbolique et romancé. Monde passé/moderne, le pot de terre contre le pot de fer...Le monde a changé, mais les privilèges restent. De très belles scènes de campagne, des acteurs impliqués, un film à voir… Les paysans, les corvées, les danses de fin de journée, la lumière « naturelle », une jeune actrice, Natasja Kinski qui tient le rôle de sa vie. Elle sera à jamais Tess.
C’est assez troublant quand on voit un acteur, ou une actrice tellement "dans" son rôle, qu’on ne la voit pas jouer du tout. Fragile comme un roseau, mais inflexible, têtue comme une mule. T'es une vraie Tess. Un vrai personnage de roman donc, avec un vrai tempérament d’actrice de cinéma. Tout pour plaire cette fille. Polanski est assez habile pour nous montrer une fille assez simplette, mais avec tellement de nuances, qu’elle en devient intéressante, voire héroïque, héroïne et antihéros à la fois. Elle a tout pour elle, sauf qu’elle n’est pas à la bonne place, n'à pas les bonnes armes, et devra rester à la place que le destin lui a octroyée. Au bas de l'échelle, ou à côté. Le film est agréable à regarder, intelligement, c’est sans pathos, seulement un peu de romantisme, saupoudré par ci, par là, peut-être un peu trop, mais c’est son choix. Il y a quelques petits errements sentimentaux, qui lorgnent du côté du roman Arlequin de luxe. C’est comme si Polanski trouvait que la lutte des classes, c’était trop sérieux, et qu’il fallait une touche de poésie guimauve, pour alléger le fardeau. Le fardeau que Tess porte sur les épaules. Pauvre et condamnée à le rester. Et soudain, Tess décide de se venger…hélas ! Pauvre Tess.