Un truc déjà, c'est que peu de retours étaient autant attendus que celui du vieux Francis ces dix dernières années (sans doute celui de Cameron le talonne de près), et c'est en grande pompe que celui-ci fut orchestré avec la sortie de "l'homme sans age" il y'a 4 ans.
Et si j'avais plutôt apprécié ce dernier, "Tetro", par ce que j'en avais perçu, me laissait craindre un délire arty-contemplatif casse-couille. Je dois maintenant reconnaître que ces craintes étaient purement gratuites, on parle quand même ici d'un type qui a passé sa carrière à démontrer que l'expérimental et la clarté narrative pouvaient coexister (en ce sens je trouve d'ailleurs que la prolifération et la richesse thématique et esthétique de son oeuvre, le rend plus impressionnant à mes yeux qu'un Kubrick, argument à débattre)
Souvenons nous tout de même qu'il avait relevé un des défis esthétiques les plus hallucinants des 90' avec son "Dracula", à savoir rendre terrifiant un film basé sur une imagerie folklorique et des effets spéciaux bricolés (je vous conseil de regarder le module vidéo sur les SFX du film présent dans le DVD, c'est carrément du Guy Maddin)
Avec "Tetro", Coppola semble avoir fait ce qu'il a toujours su faire: optimiser les éléments mis à sa disposition (histoire, scénario, acteurs, caméra, décors, costumes, les phares de voitures, la montre qui tombe par terre...) pour livrer le film le plus parfait possible, au point d'avoir réussi par le passé à me faire entrer dans des histoires, dont je me suis aperçu après coup que je n'en avais rien à foutre ("Tucker").
Et là c'est pareil, ici non seulement le sujet me touche beaucoup, mais le tout est fait avec grâce, sans aucune fausse note, avec un équilibre parfait. Je crois que rarement quelqu'un aura su jongler avec les codes narratif de manière aussi originale et parfaite que Coppola.
D'un point de vue structurel, le film aborde différents thèmes liés à la famille (amours fraternel, rivalité père-fils) et trouve le moyen de les enchaîner grâce à une suite de rebondissements, toujours inattendus parcequ' ils nous font justement dériver dans un thème que le film n'abordait pas. La première partie est consacrée aux retrouvailles de Bennie et Tetro, où Bennie cherche à savoir pourquoi Tetro est parti juste au moment où il aurait vraiment eu besoin de lui pour se construire, et aborde la rivalité entre frères en faisant un parallèle avec l'histoire de leur père et de leur oncle. Puis le film bascule dans le drame familial quand on découvre que Tetro est responsable de la mort de sa mère, et débouche sur une histoire de rivalité père/fils avec des révélation en flash-back sur le père de Bennie et Tetro.
Côté esthétique je vais pas m'étendre, mais c'est quand même impressionant de voire de quelle façon il arrive à justifier magistralement des ticks visuels grossièrement lié à la narration. En gros, le film est majoritèrement en 2,35/1 et en Noir et Blanc, façon film noir, mais les scènes de flash-backs sont en 1,33/1 et en couleur style technicolor. Au début on dit "Bah, là c'est n'importe quoi, c'est franchement facile", sauf qu'en fait vers la fin on assiste en flash back à une scène de ballet, don l'esthétique est emprunté à "tales of Hoffman" de Michael Powell. Du coup les différences esthétiques prennent tout leur sens. De plus il arrive à une parfaite maîtrise des outils numériques, et à obtenir un résultat identique à celui de la pellicule, ce qui semble être un exploit aux vu de l'utilisation qu'en font certains (de l'esthétique vomitive de Michael Mann à l'étalonnage cabotin de Zack Snyder). Francis semble faire un gros doigt à tous ces individus, et pose la question concrète "mais la pelloche ça sert à quoi aujourd'hui?"
Dailleurs: "Ma fille Sofia refuse de tourner avec autre chose que de la pellicule, ne veut pas d'effets numériques et continue à faire ses étalonnages à l'ancienne. tant que la pellicule existera, elle s'en servira. Beaucoup de jeunes cinéastes veulent perpétuer la tradition de la pellicule. Mais les vieux dinosaures comme moi cherchent à apprendre plus du numérique." ( source: les cahiers du cinéma )
Donc voila, en conclusion le film n'a pas l'aspect monumental d'un "Parrain" ou d'un "Apocalypse Now", ce qui n'est pas un reproche en fait, et j'espère après ça qu'il va nous revenir vite.