On aimerait aimer cet "Age of Shadows", parce qu'on parle quand même d'un film de Kim Jee-Woon ("2 Soeurs", "A Bittersweet Life", "le Bon, la Brute et le Cinglé" ou encore "J'ai rencontré le Diable", quand même...), avec dans le rôle principal le génial Song Kang-Ho ("Memories of Murder", "The Host", "Thirst", excusez du peu !)... Parce que l'on peut rêver d'une version de "l'Armée des Ombres" dans le contexte de l'occupation de la Corée par le Japon, réalisé avec le brio que l'on reconnaît aux réalisateurs sud-coréens... Et aussi parce que, à la différence de ses distingués collègues, Kim Jee-Woon n'est pas autant adepte du mélange de genres que plutôt soucieux, en bon artisan, de la parfaite adéquation de son style à son sujet.
Malheureusement, passée une introduction virevoltante qui évoquera d'ailleurs plutôt le regretté cinéma de Hong-Kong, force est de constater que "The Age of Shadows" a tout du pensum académique aussi indigeste que d'une vacuité vertigineuse : l'esthétique parfaite et la mise en scène classieuse servent à cacher la misère d'un scénario confus et de dialogues abscons et particulièrement mal écrits, embrouillant en permanence le spectateur et l'empêchant d'apprécier le sujet profond du film, qui est le déchirement d'un collabo entre sa loyauté envers un Japon qui l'a hissé aux plus hautes fonctions et son amitié envers les résistants qu'il admire confusément. Le résultat est que l'on ne s'intéresse jamais vraiment à des personnages qui manquent de chair comme de véracité psychologique : en y repensant, il s'agit d'ailleurs là d'une constante du cinéma de Kim Jee-Woon, plus préoccupé souvent de virtuosité que de profondeur.
Si l'on n'oubliera pas facilement la magnifique scène du train, où la mise en scène fait des merveilles d'une situation peu claire, ni l'attentat mené au rythme du "Boléro" de Ravel, il faut bien reconnaître que c'est à chaque fois l'intelligence de la mise en scène qui fonctionne, et pas grand chose d'autre... sans même parler du fait que l'on se sera furieusement ennuyé entre-temps au long de scènes de dialogues sans substance ni enjeu.
Une déception.
[Critique écrite en 2018]