Film noir peu claire

Ce qui revient souvent comme constat sur le cinéma super-héroïque actuel, c'est son incapacité à se renouveler et à sortir de certains travers. Les années 2010 auront en effet été le théâtre de l'explosion de ce genre cinématographique pour le meilleure comme pour le pire. La société Marvel Studio/Disney se sera bien évidemment montrée dominante sur l'ensemble de la production et ce plus encore aujourd'hui. Nous sommes face à des machines de plus en plus fades ayant pourtant la certitude d'atteindre au minimum le milliard de dollars à chaque nouvelle itération. Une grande lassitude totalement justifiée se fait sentir face à ce genre chez énormément de gens malgré ces multiples succès au box office. Si certaines productions auront le mérite d'offrir un spectacle au moins divertissant, les plus récents exemples ne font que prouver un enfoncement dans tout ce que le blockbuster à de pire avec par exemple le Spider-Man : No Way Home de John Watts.
Du côté de la firme DC soit le constat est le même, si pas pire parfois, soit nous en sortons avec des exemples de plutôt bon films mais malheureusement sabotés par les studios (Batman V Superman par exemple).

A l'origine, l'arrivée d'un nouveau film Batman, prévu à l'origine avec Ben Affleck, n'avait pas de quoi animer les foules. Le justicier a beau faire partie des super-héros les plus aimés du grand public, difficile d'attendre un projet de ce type après la trilogie de Christopher Nolan qui, malgré certains défauts, reste l'un des plus fascinant objets et l'une des plus grandes influences du blockbuster moderne. Batman aura été connu de nombreuses itérations cinématographiques et le voir dépeint par des cinéastes comme Burton (le freak show), Nolan (la fresque policière/politique réaliste) ou Snyder (les super-héros comme figures divines) pourrait laisser croire qu'il n'y aurait plus rien à créer.

The Batman arrive finalement en mars 2022 dans nos salles obscures et est réalisé par le génial Matt Reeves. Le choix avait de quoi faire croire au projet tant ce cinéaste s'est imposé comme l'un des maîtres du blockbuster moderne avec les 2 volets qu'il aura réalisé de la trilogie reboot de La Planète des Singes. En voyant les premières images des trailers il ne faisait que peu de doute pour moi que le film serait au moins extrêmement bien mis en scène . Ma crainte était surtout fixée sur le fait que je ne voyais pas ce qui justifiait ce nouveau film Batman alors que le personnage a déjà été extrêmement présent ces dernières années (Zack Snyder's Justice League datant d'à peine un an à l'heure où j'écris ces lignes).

Le résultat final est sans attente, c'est une grande réussite. Je n'avais finalement que très peu d'attente lors de ma séance malgré mon amour pour l'univers de l'homme chauve-souris et je dois dire que je suis extrêmement surpris. Matt Reeves offre un film qui, comme Joker en 2019, vient mettre un coup de pied dans la fourmilière. Comment dire que The Batman c'est le film de super-héros que l'on attendait plus.
Le cinéaste nous offre ici un authentique film noir moderne. La ville de Gotham est ici pourrie jusqu'à la moelle. La violence ronge la cité et semble se répandre, s'insinuer partout. Toute la population semble contaminée par cette rage et ce désespoir. Gotham pleure jusque dans ses murs avec cette pluie extrêmement présente. Matt Reeves a totalement su réinterpréter ce "personnage" à part entière et a en offrir une vision noir et désespérée.

Batman intervient comme une figure de l'ombre voulant instaurer la peur chez les criminels. Ses méthodes sont bien plus violentes que par le passé et interprète une figure semblant déjà brisée. Cette nouvelle version du chevalier noir interprétée par Robert Pattinson, excellent dans le rôle, diffère des itérations précédentes en dévoilant un personnage encore plus torturé que par le passé. Il semble effacé, abîmé, détruit et se déchaîne avec une violence rare sur les criminels qu'il rencontre et est loin du justicier que l'on pourrait imaginer à la base. J'aime énormément que cette adaptation n'aie pas oublié et aie même décidé de mettre en avant le fait que Bruce Wayne/Batman soit un personnage à l'âme fissurée. Il semble ici constamment prêt à franchir la ligne et à prendre une mauvaise décision.
Ce n'est pas un héros, mais un chevalier noir (pour reprendre les mots de Jim Gordon à la fin de The Dark Knight). Il fait écho à la figure du détective du film noir : un être agissant presque par intérêt personnel plus que pour la collectivité qui n'est finalement ni bon ni mauvais par instants. Il pense agir pour des principes familiaux qui ne sont peut-être finalement pas si nobles que ce qu'ils semblent êtres. Cette vision "enquêteur" du Batman est fascinante. Bruce Wayne se fait plus discret dans le film mais semble tout aussi détruit et en proie aux larmes. Il est à mon sens peut-être le meilleur Bruce Wayne que nous ayons eu au cinéma malgré son temps à l'écran assez réduit. Le personnage est ici traité comme un ange déchu, constamment la tête basse et parlant sous forme de chuchotement, trouvaille facile et pourtant tellement efficace à l'écran.

Le scénario du film est assez simple en soit : Le justicier, actif depuis environ 2 ans, doit arrêter un nouveau criminel, l'Homme Mystère, tout en lutant contre la corruption dans la police et les figures emblématiques de Gotham.
Si l'histoire peut sembler simple, elle n'en est pour autant pas simpliste. Son exécution est assez brillante, seules quelques ventres mous sont à déplorer sur un film qui aurait peut-être demandé à être plus court (3 heures tout de même). Le récit démontre bien cette idée d'une ville totalement dévorée par la pègre et la violence. Il n'y a plus d'ordre, la ville va sombrer sous les flots et ne peut pas être sauvée. Pourtant quelques êtres tentent encore le tout pour le tout pour redonner foi en cette cité. James Gordon, peut-être le personnage avec le meilleur fond du film, et le Batman vont tout faire pour refaire surgir l'espoir, symbolisé par le soleil crépusculaire parfois caché derrière les immeubles, comme un mur à percer pour laisser passer la lumière.

En ce qui concerne l'Homme Mystère son traitement est vraiment réussi et Matt Reeves a réussi à le moderniser et à offrir la première adaptation sérieuse de ce personnage. Paul Dano joue, comme à son habitude, merveilleusement bien les rôles de dérangés psychotiques et offre une version mémorable de ce méchant qui finalement dévoilera au grand jour les corruptions et la pourriture de Gotham. Il est quelque part un personnage assez semblable à Batman dans certains de ces agissements de bases ce qui peut expliquer la fascination qu'il a pour le justicier.
Le pingouin quant à lui, brillamment interprété par Colin Farrell, offre une version très réaliste du personnage et prend juste ce qu'il faut de place dans l'histoire. La Catwoman de Zoë Kravitz fonctionne également dans cet univers bien que soumise à quelques volontés d'adaptations un peu classique et sans prise de risque.

Finalement le plus impressionnant reste la réalisation et la vision de Matt Reeves. Comme dit précédemment, en grand cinéphile, il s'inspire énormément du film noir classique et de ses codes formels tout en convoquant le travail de cinéaste de prestige comme William Friedkin et David Fincher. Nous ressentons en effet une grande influence de films comme French Connection ainsi que Seven et Zodiac. The Batman est dès lors un long-métrage éminemment cinématographique où le réalisateur compose avec de l'authentique langage par l'image. Reeves touche du doigt un univers avec une volonté de réalisme peut-être encore plus forte que chez Christopher Nolan. Le film se paye même la possibilité d'offrir une lecture politique de notre société actuelle, elle-même rongée par la violence expansive et la corruption. La séquence finale rappellera pour beaucoup l'assaut du Capitole ou tout autres événements similaires. Matt Reeves nous offre un film désespéré sur la condition de l'Homme où l'humanité semble perdue et doit être noyée sous les flots. Batman apparaît comme l'être humain faisant le choix de chercher l'espoir même si toutes ses méthodes ne sont pas toujours justes.

Le film n'est certes pas parfait, il lui arrive de perdre sa notion de réalisme au profit de références pas franchement subtiles et inutiles à l'univers du chevalier noir. Le long-métrage possède ses longueurs et brise occasionnellement la dramaturgie pour utiliser quelques touches d'humour pas franchement les bienvenues. Parfois le films se retiens d'aller à fond dans la noirceur et la violence là où ça aurait peut-être été nécessaire (classement 13 oblige). Certains passages tirent sur la sonnette du "deus ex machina" et du "sauvetage à la dernière seconde" ce qui brise légèrement cette volonté de réalisme et la vision de Reeves. Mais comment renier ce grand moment de cinéma ?
The Batman est potentiellement le film qui pourrait faire reconsidérer enfin les films de super-héros comme autre chose qu'un produit mercantile vide de substance. Le cinéaste a réussi à totalement justifier cette énième version de Batman ce qui était, selon moi, l'un des défis majeurs du film tout en l'imposant comme l'anti-Marvel à tous les niveaux. Peut-être auront nous enfin droit à une prise de conscience comme The Dark Knight l'a donné il y a presque 14 ans (ouille).

Dans tous les cas je ne peux que saluer cette oeuvre d'un auteur qu'il nous faut suivre encore dans les années à venir. 3 heures imparfaite, certes, mais 3 heures de cinéma.

Matt Reeves, merci.