La première chose que l’on puisse dire au sujet de ce fameux The Batman, considéré comme le premier gros événement de 2022 dans l’horizon des blockbusters hollywoodien, c’est qu’il est revenu de loin avant d’être le projet fini tel qu’on le connait. Pensé comme un film solo sur le justicier au sein d’un univers étendu chez DC maintenant partie en cacahuètes, il aura souvent changé de main avant de prendre ses premiers contours et de se dessiner lentement et surement tandis que la Warner gérait comme un pied l’héritage des super-héros DC jusqu’au pathétique Justice League sorti au cinéma fin 2017 qui aura enterré le DCU (je parlerais pas de la version de 2021, c'est pas le sujet).


Pour dire, le The Batman est passé des mains de Ben Affleck comme réalisateur et acteur principal à Matt Reeves comme réalisateur. Sachant que l’un ressortait d’un échec commercial et critique avec Live by Night tandis que l’autre fait carton plein avec le dernier volet de la trilogie reboot de La Planète des Singes de son côté la même année. Pour ne pas aider, le départ de Ben Affleck par la suite rend l’avenir de ce stand-alone que plus incertain avant que la décision la plus simple ne soit prise : faire un film solo totalement déconnecté du DC universe.


Du coup : exit Ben Affleck et le Batman aigri et fatigué par sa quête de justice sans fin, et bonjour Robert Pattinson et un Batman en début d’activité avec la rage dans le ventre. Exit tout rapport avec le Joker ou les autres super-héros DC, et bonjour à une panoplie de super vilain nombreux dont un nouveau homme mystère et certains noms très familiers. Exit les sonorités assourdissantes affligés par Hans Zimmer et Junkie XL et place à Michael Giacchino pour la musique.


D’autant que dernièrement, la Warner et DC ressortent petit à petit la tête hors de l’eau. S’il y a encore des projets douteux comme Wonder Woman 1984 et Bird of Prey, il est bon de rappeler que Joker a été un événement que personne n’attendait et que The Suicide Squad a largement rectifié le tir du boudin fumant de 2016. Autant Joker relève d’un exceptionnel moment de grâce de Todd Philips et d’un alignement des étoiles arrivé pile au bon moment, autant The Suicide Squad a été béni avec l’arrivée de James Gunn et son amour des loosers magnifiques.


The Batman est un cas similaire : Matt Reeves, si il n’est pas un auteur, est un excellent technicien qui s’est montré particulièrement appliqué dans les projets qu’il a entrepris depuis le deuxième volet des reboots de La Planète des Singes en 2014. Embrassant pleinement la direction inéluctable de la franchise relancée dans le courant des années 201O, il fera de même avec The Batman en embrassant ici le polar et le film noir dés le prologue introduisant un Gotham toujours aussi peu accueillant et à la criminalité toujours aussi difficile à contrôler pour ne pas impossible à éradiquer, en plus d’un justicier vu ici comme un croque-mitaine inspirant peur et vengeance plus qu’une réelle justice.


Dés ces premières minutes, Matt Reeves fait de la pénombre une extension de l’idée que représente Batman pour les criminels. En filmant les quartiers, accès et autres ouvertures dominé par le noir total du point de vue des criminels : l’homme chauve-souris pouvant surgir de n’importe ou malgré ce qu’en peut dire la voix caverneuse de l’homme derrière le masque. Tandis que le bat-signal et le passage des hélicos de police deviennent un avertissement ayant un impact qui se fait sentir dans une ville décadente et moralement putréfiée.


Allant d’idées reprises et adapté dans le contexte de la lutte du chevalier noir (l’infiltration en force chez Falcone dans le noir total en plan statique, uniquement brisé par les coups de feu des mitraillettes qui n’est pas sans rappeler l’assaut des soldats humains contre César dans Suprématie, les combats filmés avec un calme et une sérénité limite terrifiante dans leur brutalité malgré l’absence d’effusion de sang), le code couleur oscillant entre le noir de jais et le rouge de la colère dans lequel baigne la peuplade de Gotham (un excellent taf dû au chef opérateur Grei Fraser dont le travail d'éclairage et sur les choix de couleurs ont un impact non négligeable) et ses personnages (Batman, Selina, les forces de l’ordre également), comme si tout n’était plus que peur et colère sans porte de sortie, Matt Reeves entend bien faire parler cette imagerie et donner de l’impact aux poings et coup de gueules qui se profilent.


Outre ces démonstrations esthétiques et de caractérisation très influencé par les comics de Miller et Loeb ainsi que le réalisme de Christopher Nolan dans TDK, The Batman agrippe par sa manière d’allier enquête policière macabre et les origins story des premiers grands antagonistes de Batman : ici en l’occurrence Catwoman, jeune et plus engagée dans sa lutte que par simple plaisir du vol et du gain, le Pingouin relégué au rang de bras droit opportuniste, Falcone figure majeure de la mafia de Gotham City et le fameux fauteur de trouble né indirectement des agissements de Batman : l’homme mystère/le riddler. Le Riddler qui est à la fois la grande source de mystère pendant les deux premiers tiers


et le léger contre-poids dans les 3 derniers quarts d’heure une fois révélé, le souci venant peut-être plus d’un Paul Dano qui perd un peu en force une fois face caméra quand il interprète la névrose et la folie de l’homme mystère, mais à son crédit il reste à des années lumières de la version clownesque de Jim Carrey dans Batman Forever (non vraiment, j’adore Jim Carrey mais là ça passait pas du tout).


Les personnages iconiques de l’univers sont très loin du côté fantaisiste des BD, de même pour une ville au propos politique très éloigné des précédents métrages sur le chevalier noir tant le peuple est divisé et plus proche de l’anarchie que jamais, loin de l’union populaire communiqué par le The Dark Knight de Nolan. Si on part d’un postulat déjà exploré dans l’univers mainte fois quelque soit le média, The Batman va plus loin


en acceptant pour la première fois de pleinement éborgner l’image des Wayne (Joker avait déjà emboîté le pas mais de manière moins maîtrisé) lors de la chasse aux ripoux du Riddler : impliquant directement Thomas Wayne dans un règlement de compte des plus fâcheux avec un journaliste enquêtant sur l’orphelinat des Wayne et le passif de Martha, et sa complicité avec le classieux et patriarcale Carmine Falcone.


Bien sûr, les influences de The Batman sont très évidentes (Seven et Zodiac de David Fincher en premier lieu par son atmosphère poisseuse et les messages laissés par le tueur en série) et par moment The Batman n’échappe pas à des piques sociales plus balourdes et totalement dispensable même (Selina faisant allusion à la couleur de peau des richards corrompus de Gotham). Mais l’essentiel est assuré en confrontant un jeune Bruce Wayne à la réalité du milieu dans lequel il a choisit d’évoluer en montrant que même son entourage peut se laisser soudoyer aisément, à quel point il est aussi fragile que les gens qu’il combat en fin de compte et que ses actes entraînent des répercussions plus funestes que bénéfiques dans l’immédiat.


A cela il faut rendre à Robert Pattinson ce qui est à Robert Pattinson : son aura ténébreuse est bel et bien présente et il incarne avec brio cette rage bouillonnante démontré dés son premier combat allant jusqu’à passer un tabac le premier voyou qu’il combat alors même qu’il est peut-être déjà inconscient une fois hors cadre. Sa psychologie comme sa manière d’être ne sont pas sans rappeler le comics L’ère Zéro ou Batman faisait ses débuts en tant que justicier de Gotham tout en négligeant son héritage familial, ou encore l’épisode Un Long Halloween avec ces assassinats qui suivaient un rythme précis et des cibles reliés entre elles. Sans oublier son manque de sang-froid très efficacement exposé (la mêlée au commissariat teasé dans les trailers), ses craintes personnelles lié à la mort de ses parents ravivé en chemin et surtout sa difficulté à accorder facilement sa confiance à autrui.


D’où la présence de Selina Kyle alias Catwoman, partageant sa soif de vengeance et qui a le droit à un background retravaillé par ses liens de famille et les raisons de ses braquages, Zoé Kravitz ne manquant d’ailleurs pas de rancœur également et de féminité dans sa performance sans basculer dans le vulgaire. Colin Farrell est méconnaissable en Pingouin et porte très bien le rôle de second couteau et de criminel opportuniste à ce moment, John Turturro l’est également dans la peau de Carmine Falcone et James Wright porte le rôle de James Gordon avec conviction et beaucoup d’application également.


Qui dit Batman dit souvent musique et thème musical lui collant à la peau, et la surprise est totale avec Michael Giacchino qui réussit à renouveler le thème de celui-ci avec une sorte de relecture de la Marche Funèbre de Chopin réarrangé avec d’autres sonorités pour le thème principal. Le reste de la bande sonore n’a aucunement à rougir et surprend également par ses variantes de tons entre lancination et dynamisme, en étant tout aussi lugubre et annonciatrice d’anarchie mais sans que ça ne bascule dans la pétarade sonore imbuvable. En tout cas ce thème, il va me rester longtemps dans le crâne.


The Batman se distingue de ses prédécesseurs sur tous les plans et pour le meilleur en principe : en plus de se réapproprier l’univers et d’y insuffler une âme, Matt Reeves rend honneur à l’un des héros les plus torturés de DC en faisant également de Gotham une cité tout aussi torturée. Même si la violence n’est pas aussi extrême sur le plan physique et visuelle et qu’il aurait pu creuser plusieurs points d’intrigue croustillant


(la moralité douteuse des Wayne, l’inéluctable chute d’un Gotham peut-être déjà condamné)


, il l’est largement dans les sujets qu’il aborde sur ces 3 heures qui réussissent à ne jamais paraître longuet ou excessif. Classieux, étouffant, intense et trippant, bref, un putain de bon film Batman !

Créée

le 3 mars 2022

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