Une tentative anti-Nolan réussie ?

Bien entendu, lorsque l’on verra apparaître une nouvelle version d’un Batman au cinéma, on ne pourra pas éviter les comparaisons avec les anciens, particulièrement la trilogie Nolan, adulées à plutôt juste titre. Désormais, tout créateur de Batman doit donc se construire en fonction de ce passé, pour le réinterpréter mais aussi pour s’en démarquer en miroir. Or, pour ceux qui se souviennent, le troisième opus ne faisant aucun doute là-dessus, Nolan proposait une trame politiquement conservatrice : garder et défendre l’ordre établi face à une caricature d’altermondialistes populistes essentiellement terroristes. Sur la forme, un Batman sombre, réaliste, mature voire spirituel, avec des moyens disproportionnés (Bat-tank mobile, le Batwing, la moto futuriste, du hack à grande échelle). Dans le même temps, la Warner a produit Joker, convoyant une autre vision aussi d’un Gotham anomique, rongé par les inégalités et la corruption, avec son esthétique personnelle.
Alors ici, on évacue donc l’origin story. Merci à Reeves, effectivement, on la connaît, pas besoin de la revoir une énième fois, on embrasse plutôt un début très réussi sur le mode du film noir, avec une narration d’un Vigilante esseulé, mystérieux. Son Gotham est sombre, parfois vide, mort, parfois grouillante, plus pluvieux que la Bretagne, tout en jouant parfois sur le rouge orangé dans les lumières naturelles, les lampadaires, les boîtes de nuit, les publicités. C’est assez satisfaisant, et de ce point de vue une réussite. Le film commence donc comme un Noir, où Batman se mue plus en détective, intelligente et rigoureux, après une scène de baston faisant comprendre toute la rage et le besoin de vengeance d’un Bruce Wayne psychologiquement détruit. De fait, Batman n’est pas ici considéré comme un paria : il est invité par Gordon à aider la police et travailler avec eux, tout en leur étant étranger (superbe idée que ce policier qui manque de lui rentrer dedans et s’en excuse dans cette pièce sombre : il n’est pas des leurs, il est l’ombre, et inspire la peur même à la police). Puis ce Batman mène l’enquête de son côté avec à peine deux trois gadgets, une moto passe partout non customisée, une Bat-Muscle Car à réacteur aussi simpliste et un Alfred ancien garde du corps plutôt que simple majordome. Parlons du costume : peut-être le plus réaliste et fonctionnel et à la fois sobre que l’on ait pu voir : un blindage par balle (un peu abusé d’ailleurs) rendant le Batman lourd mais puissant (le mettant en difficulté face au vide dans les deux scènes où il y fait face). Donc on suit l’enquête qui nous mène vers les grandes figures du monde de Gotham : Falcone, Cobblepott, et surtout Riddler qui pose des problèmes à la chauve-souris, le menant tout le long du film à droite et à gauche, jusqu’à une boîte de nuit donnant une scène inédite (voir le Batman en boîte de nuit je ne m’y attendais pas, terrain de jeu nouveau et très sympathique).
Alors une fois que l’on a exposé cela, que penser du film ? C’est plutôt bon. C’est très honnête, surtout en ce temps de films de héros aseptisés. Matt Reeves ne prend pas son public pour des pompes à popcorn : il impose une trame lente, qui ne repose pas sur un rythme effréné avec des grosses scènes d’actions toutes les 10 minutes. Dès lors, quand les scènes d’actions arrivent, on est presque soulagé, on veut le voir en action ce Batman, et c’est toujours fait avec de l’idée, contrairement au pauvre Nolan incapable de faire une scène de baston. Ici, une violence brute, là en boîte de nuit en jouant des lumières et de la musique dans un espace engoncé, là encore dans un couloir d’un noir complet où seuls les tirs de balles permettent d’y voir ce qu’il se passe par à-coups, ou alors suspendu sur des plateformes, avec un jeu sur les impacts de balles sur les écrans. Oui, le film a des idées, et sait les utiliser. Quant à l’interprétation de Pattinson, elle montre un Bruce détruit, après 2 ans d’activités il est un reclus replié sur lui même, sans personne, désespéré, questionnant même son utilité en tant que Batman. La musique aussi est vraiment bonne, quoique j’aurais aimé que l’on entende plus le thème principal que je trouve sous utilisé, notamment dans la course poursuite où la musique se rate et où le ne perçoit pas assez d’intensité, ce que Nolan faisait pour le coup très bien.
Alors, quel est le problème ? Pourquoi n’est-ce pas excellent, pourquoi cela ne pourra pas l’être ?
Et bien déjà, j’ai commencé par cela, d’anciens films existent. Dès lors, si le film esquive certaines redondances, on trouve forcément du déjà vu, surtout pour les fans de Batman. Encore sortir une histoire de corruption autour de la pègre de Gotham avec Falcone, le Pingouin, puis reconduire le personnage de Catwoman même avec des variations, avec un romance naissante même intéressante, c’est du déjà vu. The Riddler lui n’est pas si intéressant que cela, encore pire lorsqu’il est dévoilé et que l’on voit Paul Dano cabotiner terriblement dans une composition de fou vue et revue. De fait, et cela a été dit ailleurs, oui, tout est plutôt attendu, les quelques surprises ne nous font elles ni chaud ni froid. De même, j’ai parlé de poncif sur Paul Dano, il y a une scène qui est pas loin de me faire hurler : une énième scène où un personnage imprime des photos et les dispose en traçant des liens entre elles pour résoudre une affaire : on en est là ? Vraiment ? Une mauvaise scène d’une mauvaise série policière ? Tout cela avec un Bruce Wayne torse nu sans autre raison que de dire à Pattinson « Bon, t’as quand même fait du sport, c’est pas dinguo mais vas-y faut montrer ça ». Bon sang c’était pas si gênant de pas voir une masse de muscle, son costume et sa technique suffisait à en faire un combattant redoutable. Ou encore cette scène

de fin,


où on sait très bien que Catwoman va aller sauver Batman mais que Reeves te construit un suspens quand même pendant plusieurs secondes au ralenti


, bon sang c’est juste lourdingue là, fait la arriver quoi ! Puis alors, comble du choix terrible, cette putain de scène


à Arkham pour nous caler un Joker. Putain mais on en est là aussi pour se dire que si ça marche on pourra faire un deuxième opus car on a ouvert une porte ? Et encore avec le Joker ? Alors que l’univers de Batman est large, ils n’ont pas d’autres personnages à exploiter ? Qu’est-ce qu’ils peuvent bien en faire après Nolan, Snyder et Phillips en 10 ans ?


En fait, je ne comprends pas cela, le film tombe dans la banalité, la fainéantise alors qu’il s’est tellement embêté à produire du nouveau sur le début et sur l’aspect formel ! Autre exemple,


la scène de fin avec Catwoman, évidemment qu’au virage ils vont se séparer, chacun de son côté, et alors qu’on voit le désir ronger Batman, il regarde dans son rétroviseur. C’était une belle scène, mais déjà faite, peu subtile, et qui aurait pu garder de la force en étant moins lourd, faisant plus court.


Cela n’empêche que le film reste plaisant, et notamment sur le plan politique, où j’ai senti que Reeves a voulu absolument se construire en anti-réactionnaire, quitte à en faire un peu trop. Déjà, le choix est fait d’introduire un message anti-raciste, un peu avec des gros sabots par Catwoman mais c’est surtout pour questionner Batman que cela vient. En effet, le vrai défaut construit à ce Batman, c’est d’être né sans le besoin. C’est un défaut car c’est ce qui lui fait mal comprendre les actes des gens qu’il enquête, ou encore le fait passer à côté d’un indice étant un objet de travail de petit employé du bâtiment, ce qu’il n’a jamais tenu de sa vie. Cela lui fera commettre une erreur qu’il devra rattraper ensuite mettant beaucoup de monde en danger y compris lui. Ca c’est super intéressant, de le matérialiser dans l’histoire, plutôt que juste le faire remarquer sur un simple plan moral comme chez Nolan, car si c’est concret, ça a des effets, et ici on les voit, et je trouve ça brillant, c’est cinématographiquement parlant pour situer son propos politiquement. Propos qui tourne clairement le dos à Nolan sur la fin, je me suis directement dit « Ok, Reeves fait son Batman de gauche presque pour s’opposer à Nolan », comme si ça allait suffire à le différencier. Il faut voir ces scènes de fin, 

où Batman va sauver un enfant et la jeune maire contestatrice et racisée (l’équivalent populiste de Bane mais mélioratif?), le tendant la main puis leur montrant la voie par la gauche de l’écran, les éclairant d’une forte lumière ROUGE après avoir mis fin à la menace de militants d’extrême droite violente (bon je surinterprète un peu ici). Ce, avant que le jour ne se lève, lui même s’étant réveillé dans l’eau juste avant, métaphore de la vie intra utérine qui s’élève : c’est son acte de naissance, il se révèle au grand jour et n’est plus reconnu comme Vigilante mais comme héros qui donne de l’espoir.


Oui, ce Batman finit sur une note d’espoir, dans un déni volontaire quoique réaliste sur les terribles conséquences de ce qui vient de se passer, mais avec espoir que cela change, et avec l’assurance qu’enfin, il a pu avoir un impact positif sur cette ville. Oui, ce Batman finit sur une relation de confiance en la démocratie, avec la police, avec la population, quasi absente elle de chez Nolan. Et ça, même si c’est peu subtil, je l’ai beaucoup aimé. Bon après, y'a pas de quoi crier au "Bat-woke" non plus, ça reste une remise en ordre aux troubles causés par un homme détruit par une vie de pauvreté terrible, emprisonné par un riche milliardaire qui ne fait rien de son argent pour la ville ou pour changer politiquement la ville. Mais ce retour à une volonté de solution collective, par une proposition politique renouvelée reste plus ouvert en somme.

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le 2 mars 2022

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