The Dark Angel
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le 2 mars 2022
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Ce Batman est tellement contradictoire, c'est la quintessence du blockbuster où plusieurs initiatives semblent se croiser et s'accumuler... pour mieux se relativiser. Ce premier épisode post-Nolan a tout d'une belle relève laissée en friche, imbibée d'un parfum de désintégration et de renoncement. Le nihilisme y règne, la lutte est dérisoire face à la corruption, la peur et la fuite en avant dominent le commun des mortels tandis que l'hédonisme n'apparaît que sous un jour toxique. Le Batman est devenu suicidaire, est souvent placé au niveau du tout-venant ou réduit à l'impuissance. Il est lugubre et manque de répondant face aux assauts de ses partenaires ou meilleurs ennemis. Son antagoniste est un bolcho négativiste, sorte de Joker [THQI relativement à celui de 2019, autiste par rapport à Nicholson] rehaussé par le tueur de Seven, exhibé sur le tard et dès lors bien pauvre hors la performance d'acteur (clichée mais efficace).
Sur la forme on trouve une variation complètement actualisée, avec la place des gadgets technologiques courants et la prégnance d'une idéologie populiste mariant 'check your privilege' et BLM. Mais les ingrédients sont coutumiers, tellement que Batman 2022 donne l'impression de se résigner à être un blockbuster avec son petit supplément grâce à l'héritage (ou le modèle fourmillant qu'est la saga Batman – douze longs-métrages spécifiques par des grands studios avant celui-ci, des téléfilms, animés, séries et cross-over, sans compter les multiples romans graphiques), tout en apportant sa véritable contribution en ralentissant le processus et atténuant l'éclat de l'inéluctable victoire de son protagoniste. La vengeance de Catwoman, la conscience troublée du héros masqué, l'obsession douloureuse pour le père absent... s'agit-il d'une sorte de test de la résilience de la marque Batman moulinée par les axes dramatiques les plus usés ?
Pris de façon indépendante, The Batman serait un polar avec une petite saveur mystique dans la première heure et un beau travail d'ambiance. Il a des qualités de film noir, un style sombre ou incandescent selon la nature du moment, une séquence catastrophe et des scènes d'action réussies... mais aussi des passages d'une insondable niaiserie, des dialogues moisis soit mielleux soit dix étages en-dessous de la hauteur des enjeux (« you're a good cop » à celui qui risque sa peau et sa carrière... a good « american » cop aurait été plus rigoureusement débile et caricatural, ça aurait mis un peu de saveur), un sauvetage final au triomphalisme frelaté. Il y a un goût de beauferie explosive des années 1990 frappée de dépression et une espèce de morale pour bonnes familles disciplinées en cohabitation avec l'habillage 'décrépitude industrielle' ancré depuis la même époque. Ce Batman est plus réaliste et adulte que ce qu'on a connu, trilogie de Nolan y compris car elle laissait beaucoup de place à la fantaisie... mais il l'est sans profondeur, sans incidence.
Il y a surtout ce tournant terrible lorsque soudain la surprise, la véritable crise et le sacrifice surviennent... et tout est ramené à la normale de la façon la plus absurdement tiède possible. Spoiler mais tant mieux car il évitera ce leurre d'un film 'différent' : non papa Wayne n'était pas mauvais, il a seulement été floué par ses émotions (comme toi mon enfant) une seule fois (comme... non... mais ça ne veut pas dire que tu es défectueux au contraire ton père serait fier !) ; et surtout c'est le réchappé miracle d'une explosion qui apporte la saine nouvelle, mettant fin à une poignée de minutes de tension ingérable pour notre Batman – comme spectateur nous avions l'impression de passer un cap, mais après tout un film est là pour rassurer son héros et les ligues de moralité avant d'exister pour impressionner son public... à moins que ? Cette reculade ne peut se justifier que pour préserver la figure paternelle et donc la mythologie boostant ce Batman emo, en manque de mobiles pour rester actif ou garder le minimum vital de confiance. Or faire voler en éclat cette béquille était la garantie de pousser le Batman nouveau dans ses retranchements... est-ce trop tôt ?
Ce dialogue conformisme/dépression fait de ce Batman à la fois une ineptie, une bizarrerie et le plus potentiellement original de tous. Car celui de Nolan si bien parti a pris soin de s'affadir – il était certainement mieux défini, certainement plus ordinaire. Et car dans cette saga, en tout cas au cinéma, ce n'est jamais la chauve-souris masquée qui en a fait la richesse ni donné envie – ses adversaires l'ont toujours dépassé. En même temps le Batman du film comme celui dans le film semble enchaîné au cahier des charges le plus trivial : abîmé et neurasthénique à ses heures, il honore à la fois le cliché du héros 'à failles' (un penchant alcoolique la prochaine fois serait le bienvenu) et celui du justicier ténébreux (même s'il n'est plus en lévitation). Il est un sur-homme tant que des purs lui prêtent main forte. Les invraisemblances et la résilience physique surnaturelle habituelles du cinéma hollywoodien lui servent... et parfois lui sont retirées pour donner à voir un crash surprise. Finalement c'est un Batman inconséquent, obsédé par son cas personnel, destiné à rester hanté... encore et toujours un type imperméable, incapable d'entrevoir un contact avec Ripple, ce qui arrange le statut quo – et le renouvellement de films aseptisés... Le tribun trumpien avec le Pingouin est à craindre pour la suite, mais avec cet interprète et ce style-là il pourrait être à espérer. Avec un peu de chance il faudra moins de six ans pour un nouveau jeu d'équilibre stérile dont cette saga a le secret et qui a pu donner à l'occasion l'impression qu'elle valait mieux sur le fond, alors qu'elle se distingue par la puissance graphique largement due à son modèle vieux de plusieurs décennies.
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Créée
le 17 nov. 2022
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