They think I am hiding in the shadows, but I am the shadows.

Un film qui illustre bien la dichotomie entre un bon film et un bon film Batman. Aussi incroyable et génial que ce soit The Dark Knight, il n’a jamais était le meilleur film Batman à mes yeux. Le meilleur film, oui, à n’en pas douter, tant il a transcendé son média et redessiné le paysage cinématographique des comicbooks et imposé une vision du personnage auprès du grand public. Mais de par ses partis pris pour un réalisme toujours aussi poussé, Nolan s’est aussi écarté de ce qui aurait pu permettre d’avoir une histoire du Chevalier Noir qui puisse rivaliser avec l’indétrônable Mask of the Phantasm. Après un changement de route et un nième reboot, Matt Reeves nous propose sa version du personnage et de son univers.


Et le moins qu’on puisse dire, c’est que les promesses ont été tenue : on nous promettait un film noire de détective, on se retrouve avec un film néonoire de détective qui permet de mettre enfin en lumière cet aspect du personnage. Dans une intrigue qui puise ses inspirations dans Un Long Halloween, Dark Victory, Zero Year, ou encore Earth One, avec des prémices qui ne sont pas sans rappeler No Man’s Land, La Cours des Hiboux, ou même Silence, le tout dans une atmosphère mouillée tirée tout droit de Seven, Zodiac, Mindhunter (l’influence de Fincher est partout), mais aussi Chinatown ou Taxi Driver, Reeves nous offre un thriller psychologique qui se révèle comme l’œuvre en prises de vues réelles la plus fidèle au matériau original, autant les personnages que l’univers.


Cette fidélité et ces nombreuses inspirations m’ont autant enchanté que constituait peut-être le seul vrai défaut du film : bien que l’intrigue soit « originale », tous les ingrédients étaient connus, du coup elle en est devenue très prévisible. Ce qui n’a pour autant pas gâché mon plaisir et me donne déjà envie de découvrir la suite !



Car ce film est une pépite, riche et dense, qui peut parfois se montrer lente (et non longue, car le rythme est en fin de compte assez soutenu, on ne s’ennuie pas), qui explore plusieurs aspects intéressants du personnage. Le plus important étant l’évolution qu’il traverse au cours du film. Car là où Nolan avait établi un code moral sans vraiment en explorer le potentiel jusqu’au bout ; celui adopté par la version de Reeves joue un rôle fondamental pour le récit. Que ce soit la neutralité affiché de Batman face aux autorités, voir de défi par moment, quitte à se montrer borné. Ce code moral va démanger Batman, non pas parce qu’il va le questionner, mais parce qu’il va devoir affronter des situations où il sera confronté à ses propres doutes, ses propres peurs, sa propre légitimité.


D’où l’excellente utilisation des Wayne, et notamment du passé de Martha, dans la construction psychologique du personnage et de l’intrigue. Tout ça participe à l’évolution du personnage car, et c’est là le vrai point fort du film, on se retrouve avec un Batman incomplet, encore en construction, qui cherche sa place et comment utiliser sa détermination pour atteindre son but. Quitte à commettre des erreurs (parfois subtiles, parfois assez grossières, voire assez risibles pour un petit gag gratuit). C’est d’ailleurs pour ça que je mentionne surtout Batman dans cette critique, plutôt que Bruce, car c’est bien le Chevalier Noir qui est présent, là où l’alter-ego se contente de quelques caméos.


Cet équilibre rompt avec ce qu’on avait pu voir avant, où on avait souvent le rôle de l’alter-ego joué par Batman, cantonné à quelques apparitions, tandis que c’était bien le personnage de Bruce Wayne (aussi bien le gamin torturé que le playboy excentrique) qui tenait la grosse part du gâteau. Et c’est un équilibre qui ne fonctionnait pas toujours, parce que les films se portaient souvent sur une période « jeune du personnage », mais qui pourtant était déjà bien ancré derrière ses différents masques. C’est ce qui rendait, à mon sens, le Batfleck aussi plaisant, parce qu’on sentait derrière toute l’expérience de cet équilibre qui lui permettait de pouvoir incarner toutes les facettes, là où les autres tâtonnait souvent entre les deux.


Et la version de Reeves permet de corriger ça, avec un « Bruce » encore jeune et tellement focalisé sur sa croisade qu’il ne cherche même pas à se dissocier du Batman, et Robert Pattinson incarne à merveille cette facette-là. Il campe tout à fait le rôle du « Bruce » qui ne vit qu’à travers le Batman, de se laisser consumer par lui, de s’enfoncer dans les ténèbres qu’il peut l’amener à traverser ; jusqu’à être confronté à ses propres doutes, réaliser ce qu’il y trouve. Certains pourront dire que c’est justement l’arrivée de Robin (Grayson) qui a permit de rétablir cet équilibre, d’ancrer plus Bruce Wayne dans la réalité, de le dissocier plus de Batman. C’est ce qu’on retrouvait avec Batfleck et manquait avec les autres, et c’est ce qui rend cette version de Reeves aussi fidèle et même plus !


Parce que ce Batman est justement phase d’apprentissage. On nous avait prévenu lors de l’écriture et de la promotion, mais c’est quelque chose qui se ressent à travers tout l’arc narratif du personnage. C’est parfois « dit » de façon peu subtile (le début de la scène jubilatoire de la Batmobile, la fin épique de la scène du commissariat, les tâtonnements autour du « rata alada »), mais on le ressent aussi dans la transformation du personnage entre le début, où il est la « vengeance », et la fin, où il réalise ce qui peut se cacher derrière ce terme et ce qu’il a besoin de devenir pour Gotham. Du coup, c’est vrai que ça peut presque paraître exagéré de sortir le Sphinx comme première Némésis du personnage, tant celui-ci nécessite l’expertise et l’expérience propre au « meilleur Détective du monde ». Mais d’un autre côté, c’était sans doute le meilleur prof pour que Batman fasse ses armes dans le domaine.



En parlant du Sphinx justement, j’avoue que je suis un peu mitigé dessus. Dans l’ensemble, je pense que j’ai bien aimé ce qui est proposé, mais il subsiste quand même certains éléments un peu gênants. Outre le costume sorti un peu de nulle part, le personnage est sans doute l’élément le moins fidèle des comicbooks, celui qui avec lequel le plus de liberté a été prise. Car on retrouve un peu ce côté qu’on voit de plus en plus dans les productions tirées du Chevalier Noir et qui me désole un peu : des personnages issues de la « rogue gallery » qui se retrouvent jokérisés ou, plus exactement, ledgerisés (signe de l’impact de TDK dans le média).

Du coup, c’est bien dommage, parce que le Sphinx est un personnage qui mérite d’avoir son interprétation fidèle et réaliste, tant il a un gros potentiel sans avoir à verser dans le cartoonesque de Batman Forever. Mais justement, en fin de compte, j’ai quand même préféré cette version de Reeves, qui est donc un peu un pot-pourri (Sphinx et Joker donc, mais aussi un peu de Silence, dans son origine et le lien intrinsèque lié avec Bruce et son design de façon très superficiel) qui s’inscrit plutôt bien dans l’univers général. Et puis, en toute honnêteté, Paul Dano est tellement à fond dans le rôle qu’il a bien fini par me le vendre.


Au niveau des autres personnages, en revanche, j’ai adoré les versions proposées dans ce film, même si chacune s’écarte ici ou là de la version originale. Selina Kyle reste aussi mystérieuse que féline, aussi déterminée dans ses décisions que marquée par ses traumatismes. La relation avec Batman fonctionne plutôt bien une fois en place, mais j’ai trouvé justement que l’alchimie s’installait trop vite, on n’a pas vraiment eu droit à ce jeu du chat et de la souris qui caractérise cette relation. Un peu de la même manière, j’ai bien aimé cette version du Pingouin, là aussi moins cartoonesque que ce qu’on a pu voir ailleurs et là aussi en construction. On n’a pas encore l’Oswald Copplebot à la tête de la pègre de Gotham, mais qui gravit les échelons, travaille à la solde d’un Carmine Falcone tout droit sorti du Parrain, n’en étant que plus fidèle (parce que le personnage de Year One est clairement une pastiche de Vito Corleone). Colin Farrel y est quasi-méconnaissable et John Turturro merveilleux.


J’ai bien aimé la version d’Alfred portée par Andy Serkis (même si je lui préfère quand même celle de Jeremy Irons). On retrouve le côté d’ancien espions des forces spéciales qui assiste Batman autant bien sur les mondanités des Waynes, la vie de tous les jours, que dans le travail de détective. Un peu déçu qu’on ne le voit pas plus souvent, parce qu’il propose un parfait équilibre entre le majordome, le père de substitution et l’ami de confiance que représente Alfred. En revanche, énorme coup de cœur pour Jeffrey Wright dans le rôle de Gordon. Lui aussi, il est encore « jeune », en apprentissage, à chercher le bon équilibre entre son code moral, son sens du devoir et le rôle que peut jouer Batman dans le combat contre la pègre. Et pour le coup, je crois que c’est ma version préférée du personnage jusqu’à présent (même si c’est difficile de juger J. K. Simmons), car tout en restant assez fidèle, Wright a aussi réussi à s’approprier le personnage à son propre style, que j’adore.



Je parlais un peu plus haut du rythme du film que je jugeais parfaitement maîtrisé. Ce n’est pas tout à fait vrai. En réalité, on sent que Reeves a eu un peu de mal à introduire son univers, son intrigue. Ce qui peut rendre la première heure déroutante, tant elle est dense et que l’atmosphère qu’elle impose dès son prologue est pesante. Cela se résoudra après le premier tier du film, où une fois les bases acquises, tout s’enchaînera sans réellement parvenir à nous décrocher de notre siège. En revanche, et on sent que c’est un parti pris, le film peut se montrer parfois lent, voire excessivement lent.


Dès le prologue, on se retrouve avec des plans assez fixes qui s’éternisent, comme pour nous rappeler notre consommations abusives de vidéos courtes sur nos écrans de téléphones, pour au créer cette atmosphère angoissante, presque oppressante, des ténèbres. Comme si Reeves voulait nous mettre dans l’attente, ou plus exactement l’appréhension de ce qui pourrait en surgir. Et ça se poursuivra le reste du film, avec par exemple ces extraits de journaux télévisés ou d’enregistrements audio, bien plus longs que ce qu’on a l’habitude de voir et créent une sorte de dissonance et de malaise. On peut aussi citer ces nombreux plans où l’action donne l’impression de se passer au ralenti, comme pour capter chaque fraction de seconde et là aussi jouer avec notre patience, nos habitudes… bref nous déstabiliser (l’un des exemples les plus frappants, c’est lorsque Batman essaye de récupérer la lettre dans la cage de la chauve-souris). On peut aussi compter les plans de Batman qui s’éternisent sans de raisons particulières, comme pour faire retarder le départ de l’action ou, au contraire, ralentir sa conclusion (la scène de la Batmobile en est la plus parfaite illustration).


Pour ma part, j’ai adoré ce parti pris dans la cassure de l’action et la mise en place de ce faux rythme. D’une part parce que ça me semble assez cohérent avec l’univers visuel en général, contribuant à l’atmosphère même qui se dégage du film et que j’ai adoré. D’autre part, parce que j’ai trouvé que cette dissonance créée permettait justement de mystifier encore plus le personnage, de le rendre plus fantasmagorique, de l’envelopper d’une aura surnaturelle. Alors oui, beaucoup diront que Batman est justement le plus réaliste des super-héros, celui auquel on peut s’identifier le plus, parce qu’il est humain, et que c’est pour ça qu’iels l’aiment. Mais justement, ce que j’adore avec Batman, c’est qu’aussi réaliste et tangible qu’il soit, il demeure un mythe au yeux des habitants de Gotham, une allégorie d’une certaine forme de justice. Et c’est ce que j’ai pu retrouver dans ce film avec cette mécanique de lenteur.


Après, tout n’est pas parfait dans le processus. Par exemple, je me demande si certains plans ou scènes n’avaient pas à vocation d’avoir de la narration par-dessus, comme on peut en avoir dans le prologue et l’épilogue (une approche façon journal de bord qui rappellera beaucoup Year One). D’ailleurs, je trouve un peu dommage qu’on n’ait pas plus de narrations de Bruce au cours du film, et d’ailleurs certains dialogues auraient pu être de la narration pour paraître plus immersifs. Peut-être que Reeves avait peur d’installer trop d’exposition et de laisser les spectateurices comprendre par elleux-mêmes, mais sans aller à en mettre partout, j’ai vraiment eu l’impression que ça manquait par endroit.



Sur l’aspect technique plus en général, ce film est une petite merveille. La musique de Michael Giacchino m’a surprise, dans le sens où ce n’est pas forcément une partition que j’aurais attendue de sa part, mais elle fonctionne très bien autour de quelques thèmes très solides (sans surprise, ceux de Batman, de Catwoman et du Sphinx). Pas grand-chose à dire sur les effets spéciaux, qui restent assez bien utilisés pour des scènes épiques et palpitantes, en dehors peut-être de quelques incrustations un peu manquées. Les décors sont superbes, j’ai adoré cette vision de Gotham, même sous la pluie, mais aussi la Batcave très sobre, le visuel très gothique aussi. Sans oublier cette nouvelle Batmobile qui vient de se faire une place sur le podium de mes préférées.


La photographie du film est sublime. Chaque plan joue à merveille avec la lumière et la pluie) pour créer une composition aussi riche que soignée. Mon seul regret est l’absence de ce que j’appelle un vrai « plan Batman », mais c’est compensé par le nombre incroyables de plans de compositions qui créent toute la grandeur de l’intrigue et des personnages. Si on reste sur des tons assez ternes et gris, cela n’empêche pas aux tons plus chauds de justement prendre une part d’autant plus importantes et centrale dans l’image. La mise en scène de Reeves est à la l’image de ces précédents films : maîtrisée, sachant aussi bien jonglé entre l’épique que le plus intimiste et à nous transmettre les messages importants. Certes, on aura des artifices parfois un peu grossiers et facile, mais dans l’ensemble, c’est un pur régal de bout en bout !




Bref, The Batman est donc le meilleur film de son personnage en prise de vues réelles, même s’il reste encore inférieur au légendaire The Dark Knight. C’est un excellent film, solide, épique, palpitant, captivant, riche et dense ; mais qui, à mon sens, ne retranscendera pas le support comme son prédécesseur. C’est pratiquement le film parfait pour tout fan du Chevalier Noir, tant il puise ses inspirations dans le matériau original et parvient à y rester (trop) fidèle. Ce qui m’a le plus plu, dans cet ensemble diversifié, c’est avant tout l’évolution de Batman mise au centre de l’arc narratif, son apprentissage au cours de l’intrigue pour réaliser ce qu’il incarne à la fin du film. Que ce n’est pas la vengeance qui l’alimente, mais la justice, l’espoir. Qu’il n’est pas le héros que Gotham mérite, mais celui dont elle a besoin.

vive_le_ciné
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le 7 mai 2022

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